jeudi 17 janvier 2019

GAFA vs industrie auto : petit coup de balai du côté des idées reçues

Si vous saviez comme ça m'énerve, tous ces articles qui chantent les louanges de la Silicon Valley (GAFA plus entreprises de la région, comme Tesla) et qui prédisent la mort des constructeurs automobiles, qui feront faillite ou iront se jeter du haut d'une falaise, tétanisés par la puissance des géants du numérique. Le pire, c'est qu'on trouve ces papiers aussi bien dans la presse éco sérieuse (sous la plume de journalistes qui ne connaissent pas bien l'auto) que sur des blogs ou sites alternatifs, qui militent souvent pour la voiture électrique. En fait, on est dans le fantasme. C'est pourquoi je vous propose de faire un tour d'horizon de ces acteurs, en expliquant ce qu'ils font ou pas.

 Amazon : la boîte de Jeff Bezos a convaincu certains constructeurs avec sa technologie de reconnaissance vocale, Alexa. Amazon avait d'ailleurs un stand au CES, dans le hall dédié à l'automobile. Cela n'empêche pas les constructeurs qui sélectionnent ce produit de développer leur propre assistant personnel. En fait, les constructeurs proposeront Alexa pour les clients qui ont une enceinte connectée (de la même façon qu'ils se sont ouverts à Android et CarPlay sans renoncer pour autant à leurs propres services connectés).

Apple : même si elle est en panne d'innovation, on prête à la firme à la pomme des capacités surnaturelles. Forcément, si Apple se lance dans la voiture autonome, ils vont faire mieux que les autres. Mouais... Malgré le buzz suscité par le projet Titan (dont la voilure a été réduite), des dépôts de brevets et les inévitables rumeurs récurrentes, la firme fondée par Steve Jobs n'apparaît pas sur les radars. La seule présence à bord des voitures se résume à CarPlay, une interface bien pratique il est vrai mais qui ne change pas la face du monde.

Facebook : à part proposer des expériences de réalité virtuelle à bord d'une voiture avec les casques Oculus, le réseau social ne fait rien en rapport avec la voiture connectée.

Google : Le géant du web est sans doute le plus présent. Bien avant Android Auto, on trouvait déjà Google Maps et Google Street View dans les voitures. Par ailleurs, Android est une plateforme qui intéresse certains acteurs de l'automobile pour des plateformes liées au divertissement. Cela ne veut pas dire pour autant que Google va entrer en profondeur dans les tableaux de bord. Porsche l'a éjecté, car il n'a pas accepté l'accès à certains capteurs. Mais, d'autres constructeurs moins compétents au niveau du logiciel n'auront peut-être pas ce courage.

Microsoft : on oublie que la firme fondée par Bill Gates a été la première à arriver à bord d'une auto (fin des années 90, avec... Citroën : personne ne se souvient de la Xsara Windows ?). Microsoft a fait tourner son OS chez Fiat et pendant un temps chez Ford (QNX de Blackberry a a pris le relais). Aujourd'hui, la firme est plus positionnée dans le cloud avec des clients comme Renault-Nissan ou Toyota.

Nvidia : la firme préférée des gamers (pour ses processeurs de jeux vidéo) est courtisée par les constructeurs pour bénéficier de ses puces. Cela n'empêche pas le même Nvidia de reconnaître le savoir-faire des acteurs de l'automobile, comme par exemple l'équipementier ZF qui a conçu le supercalculateur le plus abouti du moment (Pro AI Robo Think), et auquel il participe.

Qualcomm : l'américain est moteur dans la 5G et la communication de type C-V2X. Ce n'est pas le seul, face à des géants comme Huawei, mais il a un impact dans l'industrie automobile.

Tesla : les fans, qui vénèrent Elon Musk comme d'autres ont pu adorer Jésus ou Claude François, sont persuadés que les constructeurs automobiles viennent à l'électrique grâce à lui. En fait, non, c'est tout simplement en raison du renforcement de la réglementation sur le CO2. Et la précipitation vient du Dieselgate, qui oblige les industriels à compenser la perte du Diesel par plus d'électrification. Il faut juste rappeler que la voiture électrique remonte à la fin du XIXe siècle et que la plupart des constructeurs ont commencé il y a bien longtemps à se pencher sur le sujet (dans les années 40 chez les français, 70 pour les allemands). Elon Musk, qui n'a pas fondé Tesla, contrairement à une idée reçue, a par contre rendu la voiture électrique plus sexy. Il a montré aussi qu'il y avait un marché pour le Premium. Dans la série fantasmes, il y a également la croyance très répandue que Tesla a inventé la voiture autonome (avec le système Autopilot, à l'origine de plusieurs accidents). Là aussi, ceux qui ont un minimum de culture, savent que les recherches dans ce domaine remontent à plus de 40 ans. Pour l'eau changée en vin et les petits pains, ce n'est pas Musk non plus (voir avec JC, poste restante à Bethléem).

Uber : les cabinets de consultants américains, qui ne s'intéressent qu'à leur pays, continuent de placer la firme de VTC dans les leaders de la voiture autonome. Pourtant, Uber a perdu toute crédibilité suite à une série d'accidents, dont celui dans l'Arizona. Il s'est avéré que les capteurs avaient détecté la victime 6 secondes avant le choc, mais que le système de freinage d'urgence avait été désactivé. Ce n'est parce qu'on débauche à prix d'or des soi disant pointures de la techno qu'on devient champion du monde.

Waymo : la filiale de Google est considérée comme la plus en pointe dans la voiture autonome. Elle a 10 ans d'expérience dans le domaine et a totalisé des millions de km dans le monde réel (et des milliards en virtuel). Certes, le roulage se fait dans des régions où il fait beau. Mais, il y a quand même un savoir-faire et le service de taxi autonome a démarré à Phoenix, dans l'Arizona (avec une personne derrière le volant).

Ceux dont on ne parle pas, mais qui sont américains et qui pourraient jouer un rôle important.

Aptiv : cette société, issue de la scission chez l'équipementier Delphi, anime le CES de Las Vegas. Elle y a implanté un centre technique et a fait rouler des véhicules de Lyft en mode autonome. C'est l'un des acteurs en vue.

Intel : cette vieille société de la Silicon Valley, spécialisée dans les puces, a racheté Mobileye (la pépite israélienne de la vision artificielle) et est actionnaire de HERE. Avec les caméras de bord, les serveurs pour l'analyse des données et les cartes HD, Intel a bien des atouts à faire valoir.

Et puis, ces acteurs de l'automobile, qui ne restent pas les bras croisés et qui font face à la Silicon Vallet ou leurs homologues chinois :

BMW : avec une alliance autour de la voiture autonome, qui réunit Intel, Mobileye, mais aussi Fiat-Chrysler, Continental, Magna...

Ford et Volkswagen : ils vont travailler ensemble sur la voiture autonome. VW est en train pour sa part de se transformer en entreprise digitale, avec un écosystème qui comprend des acteurs américains (Microsoft pour le cloud) ou européens (WirelessCar pour la voiture connectée).

ZF et Faurecia : ils préparent l'habitacle de demain, plus connecté, prédictif, personnalisable et plus sûr.

En résumé : avant de conjuguer le verbe disrupter, il vaut mieux regarder d'un peu plus près la réalité des choses et ne pas croire qu'il y a d'un côté de méchants industriels de l'automobile qui ne font rien et de l'autre de gentils géants du numérique qui vont innover pour le bien être de l'humanité. C'est faux dans les deux cas.