mardi 29 juillet 2014

Téléphone au volant : pendant l'été, les bobards continuent

Impossible d'y échapper : l'été est la période où des messages de prévention sont matraqués sur les ondes, avec des spots TV moralisateurs. Et le téléphone au volant est un des thèmes les plus mis en avant, avec un argument-choc : il serait à l'origine d'un accident mortel sur dix. Impressionnant, sauf que c'est faux. Il est étonnant de voir qu'Assureurs Prévention, une association regroupant les assureurs membres de la FFSA, fasse une telle erreur dans le cadre de sa dernière campagne "assurons-nous de transmettre les bons gestes".



Ce bobard, relayé sans recul par des médias qui n'y connaissent rien (mais croient bien faire), peut s'expliquer de la façon suivante. Il trouve son origine dans un rapport d'expertise collective sur le thème du téléphone et de la sécurité routière, réalisé en 2011 par l'INSERM. Il est accessible à cette adresse : http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/220/expcol_2011_telephone.pdf?sequence=1


Quel est ce document ? C'est un rapport de 269 pages, commandé par la Sécurité Routière à des "experts" (dont certains n'ont jamais vu un kit mains-libres de leur vie) et qui ont fait la synthèse de 400 documents, qui sont pour la plupart des études menées à l'étranger et assez anciennes.
En additionnant des choux, des navettes et des carottes, et en divisant (ou en multipliant, on ne sait plus très bien) par l'âge du capitaine, on arrive à la conclusion suivante : "l'utilisation du téléphone au volant expliquerait environ 10 % des accidents". On ne parle pas d'accidents mortels, notez bien. Cette information est vérifiable à la page 103 du rapport. Vous découvrirez au passage comment on calcule le risque relatif (RR) et le risque attribuable (RA). Ca vaut le détour.


Et ce n'est pas tout, lisez les pages 172, 173 et 174. On y calcule le sur-risque lié au téléphone. La conclusion est que le risque d'accident est multiplié par 3. C'est ce qu'on lit sur le site de la Sécurité Routière. Chez Assureurs Prévention, il est carrément multiplié par 5 (par 4, précise la Prévention Routière quand on appelle avec un lit mains-libres). Qui croire ?


Sauf que ce même document de référence écrit aussi (p 76) que selon les rapports de police, les accidents liés à l'usage des téléphones mobiles représenteraient 1 %. Et que dit d'ailleurs la Prévention Routière dans un rare élan de franchise ? "Ce facteur n’est pas comptabilisé dans les statistiques d’accidents"*.
Autre élément à prendre en compte, et rédigé de la façon suivante par Anne Guillaume du LAB (laboratoire d'accidentologie biomécanique de Renault et PSA) : "il serait intéressant de pouvoir disposer de données accidentologiques directes". Une manière élégante de souligner qu'en vérité, tout cela repose sur des interprétations et des hypothèses fumeuses.


Ce qui devrait intriguer ces "experts", c'est que malgré ces comportements supposés dangereux (appels, SMS, consultation de mails), la mortalité continue de baisser. En 2013, le nombre de morts était de 3268 contre 3563 en 2012. Soit, une baisse de 10,5 %. Certes, les chiffres sont moins bons depuis le début de l'année (avec des accidents impliquant les deux-roues et les usages vulnérables), mais la tendance à la baisse se poursuit malgré tout.


La vérité sur l'origine réelle des accidents se trouve donc sans doute ailleurs. Mais, au-delà de ces bidouillages et du mensonge officiel, le plus surprenant est de voir que la Sécurité Routière, les associations de tout poil et les assureurs n'ont aucune vision, ni réflexion de fond sur la voiture connectée. Les entend-on commenter les systèmes mis en place par les constructeurs comme SYNC et R-Link pour piloter par la voix le mobile (pour lire les messages et envoyer une réponse) ? Que disent-ils des services connectés qui permettent de porter à la connaissance des conducteurs les informations liées au trafic et à la météo qui impactent leur trajet ? Rien. Ils ne parlent même pas de l'appel d'urgence.

Mais, l'essentiel n'est-il pas avant tout de faire croire que la France dispose d'experts de haut niveau en accidentologie, alors que la logique la plus élémentaire serait d'encourager l'utilisation d'équipements intégrés et de laisser travailler les vrais spécialistes ?

*http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents/Principaux-facteurs-d-accidents