mardi 7 février 2017

Smartphone au volant : et maintenant des études fictives ?

Figurez-vous qu'hier, c'était la journée mondiale sans téléphone portable. Depuis 2001, la Saint-Gaston (en référence à la chanson de Nino Ferrer...) est une journée de réflexion sur l'usage du mobile au volant. Un thème qui confine parfois à l'obsession, et que certains acteurs agitent pour essayer de justifier la stagnation des chiffres de sécurité routière, et donc leur combat pour son interdiction totale. A ma grande surprise, la Prévention Routière - que je pensais plus pondérée - tombe également dans ce travers.


Dans un communiqué envoyé hier, l'association liste 5 idées fausses autour du téléphone au volant. La 1ère : il faut 5 secondes pour écrire un texto. Réponse : il faudrait 37 s en moyenne pour écrire un mot du genre "je rentre à la maison". La 2ème : au feu rouge, ou à l'arrêt dans les bouchons, je peux utiliser mon téléphone. Réponse : non, c'est interdit quand le véhicule est en circulation. La 3ème : écouter la radio ou discuter avec un passager, ça revient au même que téléphoner. Réponse : la conversation en mode mobile requiert plus d'attention. La 4ème : à vélo, j'ai le droit de téléphoner. La réponse est non : même sanction que pour les automobilistes.

Jusque là, je n'ai pas d'objection.

Venons en à la 5ème idée fausse : avec Siri ou Google Now, plus de problème de sécurité pour téléphoner ou consulter mes messages. La réponse est que "les systèmes de reconnaissance vocale (et la PR cite Siri, Google Now, Cortana et les systèmes embarqués) ont montré leurs limites, lors de différentes expérimentations et études". Ah bon ? Si de telles études existent c'est un scoop, car Siri est apparu en octobre 2011, et ses homologues encore plus récemment (2012 pour Google Now, 2014 pour Cortana qui n'est d'ailleurs pas encore disponible en voiture). Je n'avais pas encore entendu parler de ces résultats.

J'ai donc posé la question au service presse de La Prévention Routière (en demandant, il est vrai, si ces études avaient été réalisées par Pénélope Fillon). Je n'ai pas eu de retour.

Cela dit, en cherchant un peu, on tombe sur une étude menée pour le compte de l'AAA (l'association des automobile-club américains) en octobre 2014. On n'y parle ni de Google Now, ni de Cortana, mais de Siri (à l'époque sur iOS7). Les chercheurs avaient trouvé que ce système, testé à part, pouvait distraire l'automobiliste, quand on s'en sert... pour les réseaux sociaux. Apple a d'ailleurs contesté le résultat de cette étude, conduite par l'Université de l'Utah avec des capteurs mesurant le rythme cardiaque et la direction du regard. Et pourquoi ? Parce que Siri n'a pas été testé dans sa configuration "Eyes Free", c'est à dire dans le cadre de la fonction CarPlay (où seules les fonctions compatibles avec la conduite) sont autorisées.

Ce point devrait nous interroger sur la rigueur scientifique avec laquelle sont conduites les études qu'on nous balance ensuite comme une vérité d'évangile.

ll faut donc comparer ce qui est comparable, entre les systèmes sur mobile et ceux qui sont embarqués (où le degré de performance de la reconnaissance vocale est très variable). Dès lors qu'il s'agit d'entrer une destination, ou de dicter un SMS, CarPlay et Android Auto sont sacrément efficaces et s'acquittent rapidement de leur tâche. Donc, sans monopoliser l'attention.

Mais, la bonne question à poser, c'est : où veut en venir la Prévention Routière, qui annonce vouloir réaliser une étude d’observation à grande échelle pour apporter des résultats tangibles sur l’usage du téléphone au volant?

C'est amusant, car j'ai échangé sur ce point avec la Fondation MAIF, qui doit prochainement sortir une étude sur les usages déviants autour du téléphone (ceux qui écrivent des SMS en roulant, se prennent en mode selfie au volant et surveillent leurs fils Facebook et Twitter). Les chercheurs de l'IFSTTAR qui ont travaillé sur ce document estiment que le kit mains-libres ne pose pas de problème en tant que tel, quand on l'utilise pour téléphoner. C'est quand on fait n'importe quoi avec le mobile, et en particulier chez les jeunes, que ça se gâte.

Nul doute que l'étude en question sera commentée. Mais, l'intelligence de la Fondation MAIF est d'essayer de favoriser la réflexion et d'apporter des solutions, autres que l'interdiction pure et simple (et donc illusoire du mobile) dans la voiture.

On rappellera juste qu'aux Etats-Unis, la NHTSA* n'a d'ailleurs pas réclamé l'arrêt du téléphone, même si elle conseille de ne pas s'en servir. Elle a demandé en novembre dernier aux acteurs concernés, dont Apple et Google, de faire en sorte que les systèmes électroniques réduisent au maximum la distraction, avec par exemple un mode "conduite" neutralisant certaines fonctions. Ce qui est une approche sensée.

*La sécurité routière américaine parle aussi sur son site de communication entre véhicules, de cybersécurité et de véhicules autonomes. Pas de ça chez nous, où en dehors du radar et des campagnes désastreuses de communication de la DSCR, la technologie n'existe pas.