jeudi 27 mai 2021

Navettes autonomes : une première européenne sur le site d'ArianeGroup

Hier, j'étais aux Mureaux, où avait lieu la présentation du service Navetty. Mis en place par l'institut VEDECOM, en partenariat avec Transdev et Easymile, et avec le concours du département des Yvelines, ce projet consiste à déployer des navettes autonomes dans l'enceinte du site d'ArianeGroup*. Tout l'intérêt vient du fait que le site de test est représentatif d'une agglomération, en raison de la complexité des parcours. Prévu sur trois ans, le projet démarre dès maintenant et se fera sans opérateur à bord à partir de 2022, sachant que les navettes vont aussi prendre à terme des voies publiques.

La conférence aurait pu se dérouler en mode digital. Mais, les organisateurs ont souhaité maintenir une présence physique, bien plus utile pour poser des questions et rencontrer les parties prenantes du petit monde du transport autonome. C'est donc chez ArianeGroup, une société bousculée par l'entreprise SpaceX d'Elon Musk, que nous avions rendez-vous. Pour raisons de sécurité, nous n'avons pas vu grand chose, mais c'est toujours un peu spécial d'être sur ce genre de site. 

Pour faire une analogie avec les fusées, le projet Navetty a plusieurs étages. Le premier consiste à mettre en place des navettes autonomes dans l'enceinte du site. Lequel est particulièrement vaste, avec une surface de 92 hectares et une population de 2 700 personnes. Et sa desserte est un véritable challenge pour Easymile et Transdev, car on dénombre 40 passages piétons, des ronds-points et pas mal d'intersections avec du trafic routier. Même si le test se déroule dans un site privé, et que les règles sont plus souples que sur une voirie publique, les capteurs et l'intelligence des navettes seront mises à rude épreuve. 

L'objectif est de passer rapidement en mode sans opérateur à bord, avec une supervision à distance. Un PC a été installé sur site avec des opérateurs qui se relaieront devant un écran. Transdev, qui est l'opérateur ayant transporté le plus de passagers au monde (plus de 3,5 millions) avec ce type de véhicules, a développé - via sa filiale spécialisée - un nouveau logiciel de Supervision de Flottes de Véhicules Autonomes. Il intègre de la cybersécurité ainsi que de la sûreté de fonctionnement. 

Précisons que VEDECOM a mis en place une infrastructure connectée. Si les navettes se contentent de la 4G environnante, des capteurs ont été mis en place au niveau des carrefours et des ronds-points. Ce n'était pas indispensable, mais cela permet de sécuriser encore plus les trajets (autorisation ou interdiction de s’engager dans le rond-point, proposition d’une trajectoire optimale).


Pendant les trois ans du projet, les partenaires vont aussi tester d'autres cas d'usage. L'un d'eux concerne la desserte entre la gare des Mureaux et le site d'ArianeGroup. Moins de 2 km séparent les deux sites, mais c'est là où une navette autonome est pertinente. Elle assure de la mobilité quand il n'y a plus de transports en commun.

Le projet Navetty va aussi servir à valider deux autres cas d'usage. Le premier, en zone urbaine, va permettre de relier le Campus des Mureaux (un haut lieu de l’innovation en Île-de-France) et la gare de la ville. Le second, en zone périurbaine, vise à assurer les déplacements entre la gare des Clairières de Verneuil et le site d'ArianeGroup. Le trafic y est particulièrement important aux heures de pointe, car les trajets se font actuellement essentiellement en voiture.

Derrière le premier service visible, qui consiste à faire circuler des navettes autonomes chez Ariane, l'ambition est bien de préparer le passage à l'échelle. A ce propos, même si les choses progressent, on n'y est pas encore... "Le transport public autonome arrive et arrivera bien avant les voitures et les taxis sans chauffeur. La relative simplicité d’un service de transport en commun le rend idéal pour la technologie autonome", assure pourtant Gilbert Gagnaire, Président et Fondateur d’EasyMile.


C'est un pas de plus pour VEDECOM, qui a déjà mené plusieurs projets dans ce domaine. Parmi les faits d'armes, on peut citer la toute première démonstration de véhicule autonome de niveau 4 en Europe menée dès 2015 sur route ouverte (sur 7 km à Bordeaux lors du congrès mondial sur les transports intelligents), ou encore la première démonstration de service autonome à la demande sans chauffeur, et supervision à distance, sur une zone frontalière, à Strasbourg en 2017. L'institut, qui a accueilli des navettes sur route ouverte devant chez lui, contribue activement à la Stratégie Française sur le Véhicule Autonome. Il a d'ailleurs lancé en novembre 2020, avec ses partenaires, le premier baromètre mondial sur l’acceptabilité du véhicule autonome.


j'ai aussi profité de ce moment pour m'entretenir avec Easymile et Transdev. Le premier est plus discret que Navya, avec lequel on l'a comparé. Pourtant, avec plus de 300 déploiements réalisés dans le monde avec la navette EZ10 (produite par Ligier), en majorité sur route ouverte, la PME n'a rien à envier à son rival. Depuis le début, EasyMile s’emploie à développer des solutions sûres et performantes pour déployer des véhicules autonomes de niveau 4. Gilbert Gagnaire, le PDG, l'a réaffirmé. Navetty représente "une étape supérieure dans le déploiement de notre technologie, qui nous permettra d’expérimenter un service sans opérateur en environnement réaliste". Pour l'anecdote, Easymile a déjà mis en service une navette sans opérateur (chez TLD, un spécialiste des équipements aéroportuaires en Touraine). Alors que l'entreprise vient de lever 55 millions, la suite se prépare avec un projet de bus automatisé de 12 mètres. 


Quant à Transdev, il dispose d'une entité à part (Transdev Systèmes de Transport Autonome), qui développe les outils technologiques et services d’ingénierie nécessaires à l’opération quotidienne de flottes de véhicules autonomes partagés, dans le cadre de services de transport public ou privé. j'ai échangé avec Patricia Villoslada, sa directrice, que je connais aussi. Au-delà de la performance technique de la supervision, pour un transport sans personnel de sécurité à bord, elle voit en cette expérimentation l'opportunité de développer "un modèle économique et social efficient". Transdev est frustré de ne pas être allé au CES de Las Vegas, cette année. Mais l'entreprise de transport public prépare le suite des projets de Rouen et Saclay. 


Enfin, du côté d'ArianeGroup, les retours du projet Navetty permettront d’étudier un déploiement à plus grande échelle sur d’autres sites. Alors, à quand des navettes à Vernon, voire à Kourou ? 

*le siège de l'entreprise aérospatiale où se prépare le futur lanceur Ariane 6