jeudi 4 septembre 2014

Qui veut tuer l'hydrogène en France ?

C'est peu de dire que la filière hydrogène est en émoi. Dans une note d’analyse publiée le 27 août, France Stratégie* (l’ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective) évoque la transition énergétique et se pose la question de savoir si l'hydrogène y a sa place. Et la réponse est non. Un expert en énergie du nom d'Etienne Beeker estime que les défis à relever restent nombreux avant que ce gaz puisse pénétrer dans notre quotidien : l'hydrogène reste très cher à produire sans émissions de CO2, sa forte explosivité rend son utilisation délicate, les piles à combustible (PAC) sont bien maîtrisées techniquement mais n’ont pas atteint la maturité économique et l’hydrogène nécessitera le déploiement d’infrastructures spécifiques d’un coût considérable. Autant de facteurs qui justifient le fait de ne pas investir d'argent public, vu que les véhicules à hydrogène ne seront pas compétitifs avant plusieurs décennies. Mais, ces arguments ne tiennent pas la route pour les spécialistes.



Au fait, qui est Etienne Beeker ? Un X passé par EDF et l'Ademe. Sa note est d'autant plus surprenante qu'il a consulté des acteurs de référence. Mais, on découvre à la fin du document que son travail a été relu entre autres par Jean Syrota, détracteur bien connu de l'hydrogène, qu'il a étrillé lors de sa mission Véhicule 2030 en le qualifiant de carburant utopique. L'IFPEN, qui a aussi relu ce travail, a tout intérêt aussi à rejeter l'hydrogène pour recevoir à la place l'argent public qui servira à financer des moteurs moins polluants, sans fondamentalement changer les choses.


C'est en voyant passer ce genre de rapport qu'on voit à quel point on est un grand pays, ignorant superbement ce qui passe chez nos voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni), ainsi que dans bien d'autres parties du monde (USA Corée, Japon) où on a compris que le véhicule électrique à batterie ne suffira pas pour réduire le CO2 et qu'il ne convient pas à certains usages. Et puis c'est vrai quoi : c'est qui ce Hyundai qui fait de la pub à la TV sur l'ix35 à hydrogène, ces crétins de japonais qui vont se lancer en 2015 (Toyota, Honda) et tous les autres qui vont lancer dans la foulée (BMW, Daimler, Ford, Nissan) avec leurs véhicules avec pile à combustible ?


La note de France Stratégie a en tout cas fait réagir le Président de l’Association Française pour l’Hydrogène et les Piles à Combustible (AFHYPAC). Pascal Mauberger estime sur le site Natura Sciences que c'est une "note partisane".
Voici son contre argumentaire :
L'hydrogène est dangereux et volatil ? « On ne peut pas laisser dire des choses comme cela : Il n’y a pas d’accidents hydrogène dans les milieux industriels ». Selon lui, « tous les risques de l’hydrogène sont totalement maîtrisés aujourd’hui ».
Le coût des PAC ? "Il est certain qu’avec des piles à combustible à plus de 30 000 euros l’unité, un déploiement massif de la technologie n’est pas encore envisageable. Mais les prix baisseront certainement d’eux-mêmes avec l’industrialisation des processus et l’augmentation des volumes de ventes".
C'est cher pour le carburant ? "Il faut 5 kg d’hydrogène pour faire 500 km; donc avec 50 euros vous allez pouvoir faire 500 km, ce qui est équivalent avec ce que vous payez aujourd’hui pour un plein d’essence".
C'est pour dans longtemps ?  "De nombreuses démonstrations pilotes devraient avoir lieu entre 2015 et 2020. Entre 2020 et 2030, les marchés commenceront à décoller en volume et dès 2030, les volumes devraient être industriels".
Le détail ici : http://www.natura-sciences.com/energie/hydrogene-france-strategie727.html


Pour ceux qui s'intéressent au sujet, et sont à la recherche d'informations plus objectives, l'AFHYPAC et la Communauté de l'Agglomération Belfortaine organisent, en partenariat avec le Pôle Véhicule du Futur, l'UTBM, Inéva-CNRT et ALPHEA Hydrogène, les 2èmes « journées H2 dans les territoires ». Ce sera les 22 et 23 septembre. Au programme : conférences, ateliers, exposition, visite d’un site expérimental. La première journée évoquera les initiatives des territoires et le financement du déploiement de l’hydrogène. La seconde journée sera consacrée à un atelier de réflexion sur le marché prometteur de la logistique urbaine et des flottes de véhicules professionnels. Les participants découvriront à l'occasion de ces journées les premiers véhicules de flotte à hydrogène opérationnels en France et présentés en avant-première : le quadricycle MobyPost H2 issu du programme européen JTI/FCH-JU et le Kangoo électrique à prolongateur d'autonomie* issu du programme MobilHytest.


Et puis, un peu de prospective pour terminer. Dans un article publié le 28 août, le journal L'Opinion a demandé à plusieurs personnalités d'imaginer la France en 2020. A ma grande surprise, le directeur de recherche au CNRS, Alain Dollet (par ailleurs directeur adjoint scientifique en charge de la thématique « énergie » à l'Institut des sciences de l'ingénierie et des systèmes) a évoqué la piste du prolongateur d'autonomie à hydrogène. Il imagine un stockage de l'énergie sous forme solide pour alimenter la pile à combustible, qui viendrait en renfort d'une nouvelle génération de batteries. Résultat : une voiture électrique capable de rouler pendant 600 km en mode zéro émission. Et qui se rechargerait sur des bornes ultrarapides et auprès de points sécurisé de distribution en hydrogène.

*Lien : http://www.strategie.gouv.fr/presse/communique-de-presse/y-t-une-place-lhydrogene-transition-energetique 
**Lien : http://www.vehiculedufutur.com/uploads/agenda/Programme_Journees_H2_Belfort.pdf?utm_medium=email&utm_campaign=Inscrivez-vous%20aux%20Journes%20H2%20dans%20les%20territoires%20%20Belfort%20les%2022%20%2023%20septembre%202014&utm_content=Inscrivez-vous%20aux%20Journes%20H2%20dans%20les%20territoires%20%20Belfort%20les%2022%20%2023%20septembre%202014+CID_f53fb8145c96fa6cb19022f266f7382a&utm_source=Email%20marketing%20software&utm_term=Dcouvrez%20le%20programme
***Une solution qui a tellement peu d'avenir que le véhicule est présenté le 9 septembre à l'Elysée.