jeudi 30 mars 2023

Pourquoi les e-fuels c'est important

Caprice de l'Allemagne, super niche pour Porsche et Ferrari.... Voici ce qu'on entend depuis que l'Europe a accepté la demande de Berlin de laisser une porte ouverte pour les carburants de synthèse afin de pouvoir valider son texte sur les émissions de CO2 en 2035. Il est évident que ces carburants ne vont pas être pour monsieur tout le monde, mais on a tort de minimiser cette avancée. Et voici pourquoi.

Les carburants synthétiques, qui utilisent le fameux procédé Fischer-Tropsch de gazéification développé à l'époque de l'Allemagne nazie, sont regardés depuis des années par les industriels de l'automobile. Et aujourd'hui, plusieurs acteurs portent ce sujet. Si on parle de Porsche avec son usine au Chili, et dans une moindre mesure de Ferrari qui planche sur le sujet avec Shell, le plus ardent défenseur est Saudi Aramco. La compagnie pétrolière est persuadée que c'est un moyen efficace de décarboner le transport, en complément de l'hybridation et de l'amélioration des moteurs. D'ailleurs, Aramco va apporter cette expertise à Renault, dont il devient un partenaire au sein de l'entité Horse (que la marque au losange va animer en partenariat avec le chinois Geely).

Les e-fuels vont être beaucoup développés dans le futur. Des usines sont en préparation un peu partout, en Europe comme en France, pour fabriquer des carburants destinés à l'aviation et aux bateaux. Dans la mobilité très lourde, la batterie n'est pas du tout une option et les e-fuels (ammoniac, méthanol....) représentent l'alternative la plus crédible. A priori, la Commission ne voulait pas que ces carburants arrivent dans le transport routier, car ils nécessitent beaucoup d'énergie en amont. Rappelons que le principe est d'utiliser de l'hydrogène (issu d'énergies renouvelables telles que le solaire ou l'éolien, avec de l'électricité qui sert à faire une électrolyse de l'eau) et le combiner avec du CO2.

Cependant, la porte ouverte par Bruxelles pourrait aller au-delà de Porsche et Ferrari. Dans le domaine de l'automobile, tous les constructeurs ont engagé de gros investissements et ont largement anticipé la fin du thermique. Ils sont partis à fond dans l'électrique, même (et surtout) Stellantis dont le CEO Carlos Tavares ne manque pas de critiquer cette volonté de privilégier une solution unique. Mais, il faut avoir à l'esprit qu'une clause de revoyure est prévue en 2026. Et on se rendra peut-être compte à cette date que l'agenda proposé par Bruxelles n'est pas tenable. Le manque d'infrastructures et les problèmes qui n'ont pas du tout été anticipés par la Commission (approvisionnement en métaux spéciaux, tensions sur les semiconducteurs, retard technologique dans les batteries, alimentation en énergie pour tous les modes de transport qui vont impacter le réseau) amèneront peut-être à reconsidérer la durée de vie des hybrides rechargeables. Et pour le coup, le couple véhicule électrifié + e-fuels ne serait pas irrationnel.

Toujours dans l'auto, il faut rappeler que l'hydrogène est le premier des e-fuels. L'évolution de la législation en Europe ouvre la voie au passage au moteur thermique à hydrogène, dont la technologie apparaît encore plus pertinente. Officiellement, la voiture va plutôt intégrer les piles à combustible, en phase d'amorçage. Mais, on verra bien d'ici quelques années ce qu'il en sera au niveau du prix et des performances. Dans le sport automobile, le débat semble déjà tranché : ce sera moteur thermique avec des e-fuels et sans doute de l'hydrogène en endurance et dans le désert.

Dans le domaine du camion, certains aimeraient opposer la batterie à la pile à combustible. Autrement dit, un match entre Tesla et Nikola Motor. Pour d'évidentes raisons, personne ne croit au camion électrique à batterie sur de longues distances. La recharge rapide de plusieurs dizaines de camions sur une aire d'autoroute, en parallèle de la charge rapide de voitures (qui seront de plus en plus nombreuses) pose des problèmes qui paraissent insurmontables à résoudre. Il faut bien que l'électricité vienne de quelque part. En ce qui concerne l'hydrogène, les principaux constructeurs ne seront pas prêts avant la fin de la décennie. Donc, les e-fuels paraissent être les candidats naturels. 

L'intérêt pour les industriels est de pouvoir adapter un outil industriel existant et de ne pas trop modifier les habitudes des usagers. Il y a des besoins évidents pour les engins de chantier par exemple. 

Evidemment, pour que tout cela fonctionne, il va falloir fournir en masse des molécules d'hydrogène. Partout dans le monde, on voit éclore des projets très ambitieux de production. Que l'hydrogène soit bleu (issu du gaz mais avec de la séquestration de carbone), issu de l'industrie chimique ou idéalement vert, il va falloir le prendre là où il se trouve. Tout cet hydrogène, produit localement ou importé (par bateau ou par pipeline), va servir à la fois pour l'industrie et pour la mobilité.

Les e-fuels constituent un débouché important pour toute la filière. Et contrairement à une idée reçue, ces carburants synthétiques vont peser des dizaines de millions de tonnes assez vite, avec à la clé des économies d'échelle.