jeudi 22 mars 2018

Affaire Uber : non, elle ne remettra pas en cause le véhicule autonome

Ceux qui me suivent le savent peut-être déjà, j'ai été l'invité de RTL, au lendemain de l'accident avec la voiture autonome d'Uber aux Etats-Unis. Dans cet entretien, j'ai affirmé que cela ne remettrait pas en cause l'automatisation de la conduite*, mais que cela inciterait plutôt à plus d'humilité les acteurs qui veulent faire tout plus vite que les autres, et auxquels ont prête trop souvent des super-pouvoirs. C'est aussi ce que j'ai expliqué dans 20 Minutes. Ce drame est d'abord le procès d'Uber.


Nous parlons bien ici du géant du VTC, dont la réputation est assez détestable, et que d'aucuns croyaient au top de la technologie. En fait, il ne suffit pas d'avoir beaucoup d'argent et de débaucher des ingénieurs à prix d'or (dont un qui serait parti avec des secrets de Waymo, la filiale de Google sur le véhicule autonome) pour s'imposer sur ce marché. Dans le gentil monde des geeks, et de certains journalistes de la presse éco, on ne jure que par la Silicon Valley qui va enterrer les dinosaures de l'automobile. Sauf que quand on se plante en 2.0, ça peut faire mal. Vous avez peut-être remarqué que Volvo s'est empressé de préciser que ce n'est pas son logiciel qui pilotait la voiture qui a percuté mortellement une piétonne.

Objectivement, ce qui s'est passé en Arizona aurait pu arriver à d'autres. Personne ne peut revendiquer le fait de maîtriser le niveau 5, celui de l'automatisation ultime. Sauf que ce type d'accident n'est pas arrivé chez Google, ni chez la multitude d'acteurs (constructeurs**, équipementiers) qui font des tests partout dans le monde. Et aucun d'eux n'a annoncé depuis cet accident qu'il arrêtait de travailler sur la voiture autonome.

"Cet accident très regrettable ne change en rien nos plans concernant la conduite autonome", a déclaré Klaus Fröhlich, directeur de la recherche et du développement de BMW. Le groupe prévoit de commercialiser son futur modèle autonome de niveau 3, l’iNext, à compter de 2021, puis de tester durant les années suivantes des modèles autonomes des niveaux 4 et 5. Avant tout lancement, la marque compte cumuler l’équivalent de 250 millions de km de tests sur route validés par ordinateur (20 millions de km parcourus sur route et 230 millions de km « virtuels), afin de s’assurer une sécurité optimale.

Imaginez un peu si à la place d'Uber, ça avait été Mercedes ou un constructeur français....

Le groupe PSA teste le robot-taxi à Singapour. Renault va déployer prochainement des ZOE autonomes sur le campus du Madrillet, près de Rouen. Son allié Nissan a lancé une expérimentation récemment au Japon sur ce thème. Et je pourrais citer Bosch et Daimler, qui veulent faire rouler de tels véhicules dans les grands centres urbains. Ces acteurs pensent qu'il sera possible à terme d'avoir du transport à la demande en mode automatisé. Mais ils ne voient pas cela pour tout de suite, plutôt entre 2020 et 2025 (et à mon avis, au-delà).

Tous les rois de la nouvelle économie, qu'ils soient de la Silicon Valley ou de Chine (Alibaba, Baidu, Didi Chuxing) devraient faire profil bas et arrêter de promettre la lune. Le véhicule autonome se fera dans le cadre d'un partenariat entre les industriels de l'automobile et les sociétés de high-tech. Mais, il y a encore beaucoup de travail. Il faut encore travailler sur les capteurs, l'intelligence artificielle et la communication avec l'infrastructure (avec l'apport de la 5G). Tant que l'écosystème n'est pas finalisé, les annonces ne sont que du vent.

L'accident d'Uber servira sans doute de leçon pour Lyft et Didi. Il pourrait aussi freiner l'expansion de Navya, dont l'Autonom Cab arrive sans doute trop tôt sur le marché.

Enfin, il faudra faire preuve d'énormément de pédagogie pour rassurer le public. En ce sens, des débats citoyens à l'image de deux qui ont eu lieu en France fin janvier devraient se multiplier.

*Toyota a annoncé retirer ses véhicules autonomes testés sur route ouverte aux Etats-Unis (à San Francisco en Californie et à Ann Arbor dans le Michigan), mais davantage pour laisser le temps à leurs chauffeurs d'évaluer la situation.
**A l'exception de Tesla, dont l'Autopilot a fait un mort. Mais, il faut rappeler encore et toujours que ce système est seulement de niveau 2 et que le conducteur ne regardait pas la route mais une vidéo.