jeudi 14 mars 2019

Le rôle du véhicule autonome en ville

Je viens de lire un ouvrage intitulé "Piloter le véhicule autonome au service de la ville", édité par Descartes & Cie et rédigé par deux auteurs, jean-Pierre Orfeuil (spécialiste des mobilités urbaines et auteur de nombreux ouvrages) et Yann Leriche (qui dirige les activités Amérique du Nord et véhicule autonome au niveau monde du groupe Transdev). Le livre a été réalisé avec le support et la contribution scientifique de l’Institut pour la ville en mouvement, qui est une entité de VEDECOM. Pour être honnête, je n'ai pas appris grand chose. Mais, il se lit assez vite et pose de bonnes questions.

je dois quand même parler un peu de la forme avant de commencer. La couverture est bizarroïde. Le texte que l'on voit s'afficher est un extrait de la page 95 (et qui se poursuit sur 4 autres pages au début du livre avant d’arriver au sommaire). Je ne suis pas sûr ce que soit très utile, ni très vendeur. Mais bon, passons.

Autant le savoir dès le début, le livre est rédigé dans un style universitaire. Cela veut dire qu'il contient des tableaux avec des chiffres, fait de nombreux rappels historiques et qu'il cite d'innombrables experts ou supposés tels. Cela ne l'empêche pas d'écrire des choses inexactes. Par exemple, c'est la SAE (Society of Automotive Engineers) qui a défini à l'origine la règle des niveaux de 1 à 5 pour la voiture autonome (et non la NHTSA). De même, parler de voiture connectée en la limitant à l'appel d'urgence est une curiosité (l'intérêt vient des services utiles à la mobilité comme l'info trafic temps réel, les dispos de parkings, etc). Ensuite, je me suis demandé pourquoi il a fallu attendre la page 117 pour que l'on annonce enfin que la voiture autonome a déjà été expérimentée il y a des dizaines d'années et par les constructeurs automobiles, pas par les GAFA.

Ce qui est bien, en revanche, c'est que cet ouvrage bat en brèche des idées reçues (forte diffusion de véhicules à niveau 5, disparition des bouchons, grosses économies d'énergie) et nous fait comprendre que les prévisions des grandes boîtes de consulting (généralement américaines et qui ne s'intéressent qu'aux acteurs de leur pays) sont bidon. Mais, ça c'est vrai pour tous les sujets....

Je pense qu'on aurait pu gagner en clarté en exposant directement l'intérêt d'une utilisation cadrée du véhicule autonome en ville.

Pour avoir interviewé puis rencontré Yann Leriche, de Transdev, je connaissais déjà son approche. Il estime que le véhicule autonome peut être partagé en ville, dans le cadre d'un usage ciblé. C'est d'ailleurs ce que propose le groupe de transport public en faisant circuler des navettes qui viennent en complément des TC. Mais, cela suppose des aménagements. Et ce n'est pas sûr que ce soit le modèle dominant. Et puis, il y a le véhicule particulier qui devient autonome. Ce dernier peut devenir une bulle de confort et un espace privatif, pendant tout le temps (un temps pas forcément plus court, mais plus agréable parce qu'on peut faire autre chose et avec plus d'intimité) que dure le trajet. Mais du coup, cela veut dire que l'automobile serait préférée aux transports collectifs. Il en résulterait plus de trafic et peu ou pas de gains.

Dans les deux cas, Yann Leriche fait référence à la conjecture de Zahavi (du nom de son concepteur, Yacov Zahavi, qui est une théorie selon laquelle les déplacements de la vie quotidienne se font à budget-temps de transport (BTT) constant, lequel serait d'environ une heure).

Mais, n'oublions pas Jean-Pierre Orfeuil. Les deux auteurs pensent que le succès de la technologie dépendra avant tout du niveau de confiance qu'on lui accordera. Et du coup, ils abordent cette dimension à travers le vocable TRUST dont les lettres signifient Technologies, Règles, Usages, Systèmes et Services, Territoires.

J'en viens directement à ces derniers, parce que ce sont eux qui portent aujourd'hui les expérimentations. Que ce soit à Rouen, à Saclay, à Lyon et dans bien d'autres villes de France qui testent (ou ont testé) de tels véhicules, on voit bien qu'il faut du temps et beaucoup de pédagogie pour introduire le véhicule autonome en ville. Yann Leriche a d'ailleurs raison de mettre en opposition les sondages type (ceux où on demande à des gens qui n'y connaissent rien de donner leur avis) et les enquêtes menées par Transdev où des usagers qui ont réellement testé des véhicules autonomes peuvent donner leurs impressions. Et elles sont très bonnes.

Avant de s'imposer dans le coeur des villes, le véhicule autonome devra d'abord évoluer sur des portions limitées, voire des voies réservées. C'est une approche graduelle qui nécessite un contact humain (avec une personne à bord du véhicule) et des garanties sur la sécurité du service, avec par exemple la possibilité de superviser à distance la navette.

On est loin du storytelling où un Waymo ou un Uber pourrait lancer comme ça un robot-taxi dans le trafic.

C'est en tout cas comme ça que je reçois cet ouvrage, au regard de ce que je sais et de ce que j'ai déjà vécu.

Dans un monde de communication, où on passe du hype à la détestation (polémique suite à l'accident d'Uber), et où n'importe qui peut dire n'importe quoi, il vaut mieux prendre le temps de s'informer et de réfléchir. Cet ouvrage pourra intéresser ceux qui veulent en savoir plus. Ils y trouveront même un glossaire à la fin.