mercredi 21 octobre 2015

Campagnes de sécurité routière : encore et toujours du bourrage de crâne sur le téléphone au volant

En écoutant la radio, samedi, mon attention a été captée par un spot de pub d'Axa Prévention. Que disait ce spot ? "L'année dernière, selon le baromètre Axa Prévention*, 34 % des français reconnaissaient téléphoner au volant, tout de même. En 2015, ils sont désormais 38 % à le faire. Ah oui, et pour la première fois en 10 ans le nombre de morts sur la route a augmenté. Mais, ça n'a certainement aucun rapport". Sous cette même accroche, la campagne décline également l'alcool et la fatigue sur les ondes d'Europe 1 et RTL. Mis à part que ce genre de communication ne sert pas à grand chose (on croit à tort que les français se tuent plus à la Toussaint), et que les assureurs** font le strict minimum, il y a toujours la tentation chez les organismes qui prennent la parole sur la sécurité routière de désigner un coupable facile, le téléphone. Pendant ce temps, on ne parle pas du cannabis, ni des infrastructures qui se dégradent.



Restons un instant sur Axa Prévention. Leur site revient sur le téléphone et rappelle qu'en téléphonant, on est bien moins attentif à la conduite et que la probabilité d'accident est 3 fois plus élevée. Bon, pourquoi pas... Un autre article, intitulé finement "G U 1 Axidan", et qui parle des SMS dictés en roulant (ce n'est pas bien) pronostique qu'"en se généralisant, le smartphone pourrait devenir la principale cause d'accident de la route". Les experts d'Axa, qui ne doutent de rien, ne savent peut-être pas que 7 européens sur 10 ont déjà un smartphone (source : IDC). Les statistiques de la mortalité routière n'ont pas pour autant explosé dans les autres pays. Alors, "aucun rapport" ?


Et quand on lit l'article consacré aux nouvelles mesures de sécurité, dont l'interdiction des casques et oreillettes (ce que je trouve très bien), il est écrit : "téléphoner au volant était déjà proscrit par le code de la route car en cause dans près de 10 % des accidents corporels". C'est un peu gênant pour des assureurs de ne pas connaître la réglementation. Ce qui est interdit, et là encore c'est une bonne chose, c'est de tenir un téléphone à la main (sanctions encourues en cas de non-respect de ces règles : une amende de 135 € et la perte de 3 points sur le permis de conduire). L'utilisation d'un kit mains-libres reste donc légale et tolérée. Cela fait bouillir les ultras, j'y reviendrai.


Passons un peu de temps sur les 10 % d'accidents dont le téléphone serait responsable. L'Observatoire sanef des comportements, qui a mené une étude sur le téléphone au volant (mais comme c'est original...) nous dit que le chiffre vient du ministère de l'Intérieur. Tout faux, Marco. La Fondation Vinci Autoroutes, qui - elle - a réalisé une étude scientifique*** rappelle que cette statistique figure dans le fameux document Expertise collective Inserm/Ifsttar « Téléphone et sécurité routière » - 2011, dont j'ai déjà longuement dénoncé sur ce blog l'absence de crédibilité.

Et qu'en dit la Sécurité Routière ? Elle avance le chiffre de 10 % sans en avancer la source et s'inspire pour un de ses communiqués (celui sur l'interdiction des casques et oreillettes), de l'étude de la Fondation Vinci dont je parlais plus haut, et d'une autre étude de 2012 réalisée par les Associations Prévention routière et Assureurs Prévention (étude sur l’évolution des comportements des conducteurs) pour justifier ses mises en garde. A force de se répéter que le téléphone y est pour quelque chose, et d'alimenter la machine par des sondages où on pose les mêmes questions sur le même thème, on finit par y croire.


D'ailleurs, les résultats de l'Observatoire sanef sur l'usage du téléphone sont inquiétants : 4 % des automobilistes seraient en infraction, car conduisant avec un téléphone à la main. Mais, c'est énorme ! Ce constat a été fait par des observateurs qui se sont amusés à regarder les usagers et les compter dans le flot du trafic. "Il faut considérer ce résultat comme un minimum", prévient la sanef qui réalise peut-être le désastre. En effet, l’observation en immersion dans le trafic ne permet pas de prendre en compte les utilisations de téléphone lorsqu’il est en position basse, sur les genoux, par exemple, pour rédiger des SMS ou des mails". Rappelons juste que l'autoroute est l'endroit où on se tue le moins**** et où on s'emmerde le plus. Et visiblement, celui où n'importe quel prétexte est bon pour faire campagne sur le mobile.




Allez pour finir, un... sondage. La Prévention Routière, qui vient de changer de délégué, demande aux Internautes de les aider à choisir des thèmes pour 2016. Devinez quoi ? Interdire le téléphone au volant fait partie des choix suggérés (mais, comme c'est original...).

Il y a quand même un moment où ce serait bien d'ouvrir les yeux et de se pencher sur d'autres causes (le cannabis en téléphonant par exemple, sachant que le mélange drogue et alcool multiplie par 14 le risque d'accident). Surtout que la récente baisse de la mortalité en septembre (- 17,4 %, elle avait aussi reculé de 5,4 en juin) donne le sentiment qu'une fois de plus on a agi dans la précipitation et l'émotion avec des mesures inutiles et qui ne règlent pas le problème de fond. Tout ça parce qu'il y a eu + 3,5 % de tués en 2014 et 58 morts de plus en juillet (+ 19,2 %) et 29 morts de plus en août (+ 9,5 %). Puisque l'on parle de chiffres, la lecture de l'Argus de l'Assurance nous rappelle que Nicolas Sarkozy avait fixé, en 2007, l'objectif de descendre sous la barre des 3000 tués... avec le succès que l'on sait. Manuel Valls a par imprudence promis d'arriver à 2000. Le Yakafokon est en route et rien ne va l'arrêter, surtout pas le ridicule.

En comparaison, chaque année en France, environ 11.500 personnes décèdent suite à un accident de la vie courante dont 230 enfants. Personne n'en parle. L'alcool, c'est près de 50 000 décès par an. Et le tabac, 73 000. La route est devenue une cause de mortalité très secondaire en ordre d'importance. Mais, elle fait causer toujours autant. Et le téléphone ? Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l’OMS a qualifié, en juin 2011, les champs électromagnétiques liés à l’usage du téléphone mobile comme « peut-être cancérogènes » pour l’homme. Moi je vous le dis, ils sont potes avec les gens de chez Axa, de la sanef et de la Sécurité Routière.

*Une enquête TNS Sofres réalisée pour AXA Prévention. Le principe est simple : on pose toujours la même question chaque année. Et comme plus de personnes répondent qu'elles téléphonent, cela devient donc une cause d'accident qui prend de l'ampleur. La Palice n'aurait pas fait mieux.
**Ils ont pour obligation de consacrer 0,5 % des primes à la prévention routière. Un petit spot radio et hop!, on passe à autre chose. Financer des formations serait plus courageux et surtout plus utile.
***Menée sur autoroute et en laboratoire sur 3500 conducteurs.
****Selon l'ASFA, le nombre de morts a diminué de 16 % en 2014 et on n'a dénombré que 142 morts (4 % du total en France). La première cause d'accidents est la somnolence et le téléphone n'est pas du tout cité. Pourquoi la sanef et Vinci Autoroutes ont-ils choisi ce thème alors ?