lundi 20 novembre 2017

Véhicule autonome : les résistances et préjugés de la Sécurité Routière

Jeudi dernier, je faisais partie des rares journalistes à assister à la journée de présentation du "Bilan Scientifique de la Fondation Sécurité Routière". Cet organisme* a servi à financer une trentaine de projets de recherche autour de la sécurité (modes doux, deux-roues motorisé, sécurité primaire, prise en charge des victimes, infrastructure) pour un coût total de 14,8 millions d’euros dont 5,7 apportés par la Fondation. Il se trouve que, comme cela était prévu dans ses statuts, la Fondation doit être dissoute. Au plus tard, ce sera le cas en février 2018. C'est l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) qui va récupérer les actifs résiduels de la FSR et les réinvestir dans un projet sur la sécurité des occupants des véhicules autonomes**.



Ce projet a pour ambition de travailler sur les postures acceptables à bord (les positions que pourront adopter le conducteur et ses passagers quand le véhicule est en mode robotisé et qui seront compatibles avec un niveau de risque acceptable), ainsi que sur les risques liés à la reprise en main et les interactions de ce type de véhicule avec le parc roulant, les deux-roues motorisés et les usagers vulnérables. Le projet permettra par ailleurs de simuler l’impact prévisible en matière de sécurité routière, en recourant à la simulation. Il sera ainsi possible de reconstituer par le modèle Cosmodrive (un modèle de simulation cognitive du conducteur automobile) des cinématiques d’accidents, de simuler des scénarios de conduite critiques, tels que les changements de direction, les remontées de files, la gestion des intersections, le comportement dans les carrefours congestionnés ou l’entrée dans les ronds-points.


Après ce récit factuel, venons en au verbatim qui permet de comprendre comment cette évolution est perçue. Dans son discours d'ouverture de la journée, le Délégué Interministériel à la Sécurité Routière Emmanuel Barbe a employé les termes de "pensée magique" et d'"illusion". Il a souligné le "besoin fondamental de faire de la recherche", laissant percevoir que, s'il pensait que la  voiture autonome pouvait améliorer les choses, il demande à être convaincu. En fait, il se demande si ce type de véhicule ne va pas au contraire provoquer d'autres accidents.

Ce discours était plus en retrait que celui de Christian Peugeot, Président du CCFA. Lequel avait évoqué avant lui la généralisation des aides à la conduite et l'arrivée de l'automatisation, promue au rang de programme national et qui reste un "chantier compliqué".

Par la suite, j'ai entendu des propos qui m'ont laissé songeur. Ainsi, une représentante de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), a fait part de ses craintes. Elle s'est dite inquiète par rapport à la cohabitation avec les autres véhicules et la phase intermédiaire où les conducteurs devront reprendre le contrôle du véhicule. Jusque là, rien à redire.

La même personne a indiqué que les forces de l'ordre se préparaient à l'arrivée de ce type de véhicule. Comment ? Sur les fichiers BAAC, qui servent à alimenter la Base de données accidents corporels de la circulation, une ligne de plus sera prévue pour qu'ils puissent noter si le véhicule accidenté était en mode autonome. Il est permis de douter de la rigueur des saisies d’information décrivant l’accident, qui sont effectuées par l’unité des forces de l’ordre (police, gendarmerie, etc.) qui est intervenue sur le lieu de l’accident. Si les fiches étaient bien faites, on saurait précisément quelles sont les causes d'accidents. Ce qui n'est pas vraiment le cas. Et puis, comment feront les forces de l'ordre pour identifier si tel ou tel véhicule est équipé d'un système pilotant la conduite ?


Juste avant, Rémi Bastien était intervenu sur le sujet de la voiture autonome. Lui, au moins, sait de quoi il parle. Directeur de la prospective véhicule autonome pour l’Alliance Renault/Nissan, il est également le Président de VEDECOM et du pôle de compétitivité Mov'éo. Il a d'abord fait un trait d'humour, en déclarant que ce thème générait déjà un gros chiffre d’affaires, mais... en matière de congrès et de consultants. Rémi Bastien a ensuite tenu à relativiser un chiffre, qu'on cite souvent (90 % des accidents seraient dus à une erreur humaine). Cela ne veut pas dire que la voiture autonome va réduire d'autant le nombre d'accidents, a-t-il souligné. "Il faut déjà amener le système à la performance d’un être humain, ce qui demande déjà beaucoup de travail", a dit Rémi Bastien. Il a été aussi honnête, en reconnaissant que personne n'était capable de faire une voiture sans conducteur, pour tous les types de trajets (même Google, m'avait-il dit avant la conférence). Par exemple, les capteurs n'ont qu'une portée de 200 m. Ce n'est pas assez pour anticiper. Pour lui, le défi est de comprendre si le conducteur va reprendre la main, et d'arrêter le véhicule si la personne derrière le volant n'est pas en état de le faire. La conception tient compte des défaillances, avec de la redondance, de la supervision, et une protection contre la cybersécurité, a encore expliqué cet expert. Le véhicule est aussi programmé pour être prudent et pour respecter le code de la route


Un peu plus tard, c'est Vincent Abadie, l'expert de PSA sur le véhicule qui a introduit le fameux nouveau projet de recherche sur les occupants de voitures autonomes. Il a réaffirmé que les ADAS (aides à la conduite) se généralisaient, que ce n'était plus seulement pour les modèles haut de gamme, et que leur impact sur la sécurité avait été prouvé. Personne dans la salle n'a démenti. Vincent Abadie a annoncé au passage que dans les deux ans, les constructeurs allaient généraliser le freinage automatique, ainsi que le maintien dans la voie. Pas plus de commentaires de tous ces spécialistes dans la salle qui auraient pu saluer cet effort des constructeurs.

Suite à cette présentation, un chercheur a interpellé l'expert de PSA. Il lui a demandé à quelles bases de données il serait possible de se connecter, sous-entendant que cela n'existait pas pour la voiture autonome. Précision : Emmanuel Lagarde, chercheur à l'INSERM est le Président des experts du fameux CNSR (Conseil National de Sécurité Routière). Vincent Abadie lui a répondu qu'il y avait celle de VEDECOM, qui répertorie déjà 700 000 km de conduite en mode automatisé. Et là, le fameux "expert" est resté coi. Il ne savait pas.

C'est à ce genre de détails que l'on voit le gouffre entre les industriels qui vivent dans le monde réel, qui savent que la course à la voiture autonome est stratégique, et qu'il faut engranger de l'expérience sur route, et des acteurs (administration, chercheurs du monde académique) qui manifestement ne connaissent pas grand chose à l'automobile.

Dernier détail, tragi-comique, la Délégation à la sécurité routière (DSR) lance un appel à projets sur 7 thèmes prioritaires pour la période 2018-2022, dont "le véhicule intelligent". Euh, sachant que ce domaine est largement couvert par les industriels, qu'il existe quelques programmes dont celui de l'ex-NFI, qu'il y a pléthore d'instituts très compétents (VEDECOM, SystemX...) et qui travaillent déjà dessus, qu'est-ce que peut bien apporter la Sécurité Routière ?

Par ailleurs, la DSR organise ce jeudi une journée pour présenter les réflexions des institutionnels et du monde de la recherche sur le véhicule connecté ou autonome.

*La Fondation Sécurité Routière est une fondation de recherche, reconnue d’utilité publique par un décret du 14 décembre 2005, créée par les acteurs majeurs de la production de véhicules à moteur (constructeurs et équipementiers) et de l’exploitation des transports avec le soutien de l’Etat. Les membres fondateurs sont : PSA Peugeot Citroën, Renault, Renault Trucks, Plastic Omnium, Robert Bosch France, l’ASFA (association des sociétés d'autoroutes françaises), Gruau Laval, Iris Bus France, Veolia Transport (ex-Connex), Mobivia (ex-Norauto), la compagnie Signature (absorbée par Plastic Omnium) et la RATP.
**le titre provisoire est : « sécurité des occupants de véhicules autonomes et des autres usagers dans le cadre de la mise en circulation des véhicules autonomes selon les différents modes d’autonomie »