Après avoir dit ce que je pensais du rapport sur la sécurité routière, qui est un copié-collé des positions des ultras du CNSR et sans grand intérêt, j'ai eu la curiosité de lire un autre document. L'Inspection Générale de l'Administration a en effet publié un rapport sur les nouveaux usages de la route. Il est sorti en juillet 2014 et bien peu de médias en ont parlé. Pourtant, il semble bien que ces travaux aient inspiré les articles de la loi sur la transition énergétique concernant les voies réservées pour certaines catégories de véhicules.
Parmi les auteurs, il y a un certain François Bordry, Président du Comité National des Usagers de la Route. Une structure créée en 2009 par le gouvernement de l'époque et qui réunit représentants de l’Etat, associations et fédérations professionnelles. Il est présenté comme "le premier organe de représentation des usagers du réseau routier national". Ah bon... Un autre auteur est Jean Panhaleux, dont je parlais déjà hier et qui est un ancien de la DSCR. Plus cocasse, on retrouve aussi l'ancien Président du CDR, Jean-François Rocchi, qui a été mis en examen dans l'affaire Tapie, et qui est revenu dans son corps d'origine.
Le rapport a été commandé en décembre 2013 par Manuel Valls (alors ministre de l'Intérieur), et le secrétaire d'Etat en charge des transports, Frédéric Cuvillier. L'objectif était de déterminer à quelles conditions des initiatives visant à favoriser la circulation d'autres modes de transport que la voiture individuelle sur les voies rapides congestionnées des grandes agglomérations pouvaient être réalisées. Une approche qui a déjà été menée en Australie, au Canada, en Espagne, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, au Portugal, au Royaume-Uni, et en Suisse.
Que dit ce rapport ? Il trouve "relativement satisfaisant" le bilan des expériences menées sur trois sites en France : la bande d'arrêt d'urgence réservée en permanence aux autocars sur l’A 10 vers Massy (dans le sens province-Paris) sur une longueur de 1,4 km ; celle qui affecte en permanence également aux autocars, aux autobus et aux taxis la voie de droite d’une portion de 2 km sur l’A 7 à l’entrée de Marseille ; celle qui ouvre à certaines heures, sur activation, la B.A.U. de l’A 48 à l’approche de Grenoble, aux autocars et autobus des lignes régulières sur une portion de 4 km en zone non concédée (récemment étendue à un autre secteur de 4 km en zone concédée). La première est toutefois considérée comme une expérimentation en "trompe-l'oeil*" et la seconde est jugée "intéressante mais trop récente pour être démonstrative".
En conséquence, le rapport préconise certaines recommandations. Ainsi, les voies réservées, autres que les bandes d’arrêt d’urgence, seraient ouvertes prioritairement aux véhicules de transport collectif. Les taxis (il n'est pas question des VTC, par peur de mécontenter aussi les motos-taxis qui réclameraient aussi ce droit) pourraient y accéder en fonction de circonstances locales (desserte d’aéroports notamment), si les conditions le permettent. Le covoiturage n’y serait autorisé, le cas échéant, qu’après une étude spécifique démontrant que les circonstances le permettent. L’autopartage n’y serait pas autorisé, car jugé trop aléatoire (compte tenu de l’impossibilité de vérifier les compétences des utilisateurs, même porteurs d’un abonnement, et des risques d’imbroglio juridique qui se poseraient dans le cas de véhicules de location temporaire, en cas d’accident).
Le document souligne que les chauffeurs autorisés à circuler à ces voies doivent recevoir une formation adaptée. Il pointe également le flou juridique qui entoure ces expérimentations, le code de la route ne prévoyant pas ce genre de dérogation. Il se pose également des questions de coût, dès lors que l'affectation de la voie réservée n'est pas permanente et suppose une signalétique dynamique et des moyens de contrôle. Je note également que le rapport recommande le dialogue avec les associations d'automobilistes pour ce type de projet (même si aucune n'a été entendue à l'exception de la fédération nationale de covoiturage, la FEDUCO), pour des questions d'acceptabilité sociale alors que c'est plus rarement le cas en matière de sécurité routière.
Quels sont les gains ? Pas énormes, les expérimentations décrites ci-dessus font économiser jusqu'à une minute sur le temps de parcours des véhicules prioritaires. Et il semble que les problèmes se limitent à quelques accrochages et de la fraude (surtout à Marseille !).
Je retiens également de ce document quelques projet intéressants :
- celui consistant à ouvrir la B.A.U. aux transports collectifs (en gestion dynamique sur activation) puis, éventuellement au covoiturage, sur une portion de 16 km entre Orchies et le carrefour des Quatre-Cantons vers Villeneuve-d’Ascq sur l’A 23 au Sud-Est de Lille. Il est limité pour l’instant à une desserte de « car à haut niveau de service » (CHNS). C'est prévu pour 2018.
- l'expérience de ligne de CHNS menée sur une route secondaire située dans la pénétrante Nord de Nantes (Nantes-Grandchamp des Fontaines), parallèle à la RN 137 à Treillères et avec une portion de 700 m de voie réservée. Le résultat se traduit par 1 car toutes les 5 mn et + 40 % de passagers.
- l'initiative du conseil général de la Gironde qui a déjà ouvert sur l’axe venant du Bassin d’Arcachon une ligne express de CHNS, la demande étant stimulée par le confort des véhicules (Wifi embarqué), la régularité du service, et le tarif peu élevé (le prix est de 2,50 euros). Des discussions sont en cours avec la C.U.B. pour faire bénéficier les cars de l'onde verte (par régulation des feux) dont profitent les bus de la ville, et un site propre est envisagé en entrée de Bordeaux.
- la gestion dynamique essayée sur l’A 4 en Ile-de-France, ou, plus récemment, l’expérience de voie réservée pour les bus et les taxis en entrée de Paris sur l’A 1.
*Cet aménagement a été imposé par NKM en 2011, alors ministre de l'Ecologie. Un projet vise à créer une voie réservée entre la Folie-Bessin et Palaiseau avec une signalétique adaptée sur la voie de gauche dans le sens vers Paris.