Exemple ici avec le chapitre 2.3.2 : "L’impact du progrès technique sur les véhicules".
Que peut-on lire ? "Les nouvelles technologies devraient rendre les véhicules encore plus performants en termes de sécurité : systèmes électroniques de contrôle de stabilité, système avancé de freinage d’urgence ou de détection de dérive de trajectoire sont déjà programmés sur certains types de véhicules. Les systèmes infrarouge de détection de piétons sont déjà au point".
Bon, précisons déjà que l'ESP (on dit ESC au niveau européen) est obligatoire depuis novembre 2014 (avec une première phase dès novembre 2011) en Europe et qu'il est apparu pour la première fois en 1995. Avant l'obligation, il était déjà largement répandu.
Les systèmes avancés de freinage d'urgence (je présume automatiques) sont déjà présents sur un certain nombre de véhicules (dont la VW Up, la Fiat Panda ou la Ford Focus, mais aussi la Peugeot 308). Ils vont se généraliser grâce à EuroNCAP qui tient compte de la présence de systèmes avancés de sécurité (dont l'AEB : Automated Emergency Braking) pour décerner ses notes. Le rapport n'y fait référence qu'en annexe.
Quant à l'alerte de dérive de trajectoire, elle est tellement programmée sur certains types de véhicules que PSA l'a introduite sur le marché il y a déjà 10 ans (système AFIL). On trouve l'alerte de dérive (lane departure warning ou LDW en anglais) partout, y compris sur la dernière Twingo de Renault (où elle est incluse dans le cadre d'un pack à 300 € avec le régulateur et le limiteur de vitesse).
Et pour les piétons ? La détection par infrarouge des piétons la nuit est effectivement une réalité chez les constructeurs allemands. Mais, déjà, avec une simple caméra, la plupart des modèles récents sont capables de détecter des piétons en journée et de freiner en cas de danger.
En annexe (article 9), le rapport précise que d'ici 2020, les véhicules seront aussi dotés d’un système de contrôle de pression des pneumatiques et d’un indicateur de changement de vitesse (indicateurs recommandant au conducteur de changer de vitesse afin de favoriser l'éco-conduite). Le premier est obligatoire depuis novembre 2012 et le second largement répandu. Le règlement d'ici 2020 "impose également la mise sur le marché de nouveaux pneumatiques conciliant une meilleure adhérence sur sol mouillé, une moindre résistance au roulement et un abaissement du bruit externe de roulement", peut-on encore lire. Là aussi, c'est déjà le cas depuis novembre 2012.
Et attention, la phrase qui tue : "Dans un avenir encore plus futuriste mais pas utopique, les véhicules seraient de plus en plus automatisés avec la réduction voire la suppression de toute intervention humaine dans la conduite". Les médias en parlent un petit peu, il est vrai... En théorie, les auteurs et ceux qui se soucient de la sécurité devraient être contents, vu que 90 % des accidents sont d'origine humaine. Hé bien, non."D'ores et déjà, certaines innovations en matière d’aide à la conduite sont susceptibles de soulever au moins deux problèmes : la multiplication des « distracteurs » pour le conducteur et la potentielle remise en cause du principe de responsabilité ultime du conducteur dans la maîtrise de son véhicule", assène le document. Des véhicules plus sûrs, et puis quoi encore ?
Autre préjugé : le progrès ne concernerait que les seuls véhicules haut de gamme dans un premier temps, ce qui reporterait à 2020 l'impact de ces technologies. Faux ! Tous les segments sont impactés aujourd'hui, du fait de la baisse de prix des capteurs et de la politique de plateformes qui permet de généraliser plus vite les innovations à travers les gammes.
J'ai lu aussi avec intérêt le passage sur les addictions. Il est évidemment question du téléphone au volant. "L’addiction au téléphone et au SMS est un facteur de risque croissant," écrit gravement le rapport. Une étude le démontrerait ? Non, le rapport se base "sur des sondages disponibles et notamment le baromètre Axa". Vérité scientifique quand tu nous tiens... 30 lignes au total pour cette bouffonnerie alors que le chapitre sur les addictions aux drogues multiples est expédié en 4 lignes.
Plus loin, les auteurs suggèrent également de faire appel à la vidéo pour confondre ceux qui téléphonent au volant (en modifiant l’art. L 121-3 du code de la route). Ils veulent également que l'usage du téléphone soit consigné dans les fiches d'accident quand il y a un doute (ce qui suppose que ce n'est pas fait ou que rien ne relie l'accident au téléphone contrairement à ce qu'on raconte).
Autre perle pêchée plus loin : "il convient de privilégier tout dispositif technique conduisant à respecter les règles (par exemple dispositif empêchant de rédiger des SMS au volant)". Chers fonctionnaires à la pointe du progrès, il faut savoir que la lecture et l'écriture des SMS en mode vocal sont déjà prises en charge dans un nombre croissant de modèles, dits connectés. Et au moment de la rédaction du rapport, il était déjà question de CarPlay, l'interface sécuritaire d'Apple pour le smartphone en voiture, qui est déjà une réalité sur certains modèles.
Les auteurs ont consulté des données absolument fiables sur le téléphone au volant : l'étude collective IFSTTAR-INSERM dont j'ai parlé sur ce blog et qui une escroquerie pseudo-scientifique et un sondage TNS-Sofres de 2013 sur le texting au volant.
Sinon, le rapport dit que les radars ne sont pas des pompes à fric, ou encore que la politique de sécurité routière est très majoritairement soutenue. Le blabla habituel dans la ligne du parti.
En revanche, le document soulève des points qui posent problème : l'éducation routière et la prévention ne sont pas évaluées, l'accidentalité des deux-roues est mal maîtrisée, il est nécessaire de se rapprocher des assurances et mutuelles pour détecter les véhicules non assurés, la Sécurité Routière souffre de l'absence de lien avec les experts de l'infrastructure (IFSTTAR au niveau de la recherche, CEREMA pour l'expertise technique), la formation post-permis est trop peu développée en France. On peut lire aussi que les stats sont insuffisantes et qu'en fait on ne sait pas grand chose sur l'origine des accidents.
Il est aussi écrit en gras ceci : "On note l’absence d’un conseiller technique de bon niveau sur les domaines des infrastructures et des véhicules auprès du délégué interministériel, comme il en existait deux sur les sujets du ministère de l’intérieur lorsque la DSCR était au sein du ministère en charge des transports". Bel aveu d'incompétence.
C'est plutôt ces faiblesses qui devraient intéresser les journalistes, ceux du JDD comme les autres. Elles sont effarantes.
Mais malgré toutes ces formidables lacunes, il n'y a qu'une seule solution à la fin de ce rapport : abaisser la vitesse à 80 km/h sur les routes. Quelle audace ! Quelle imagination ! Pour un vrai rapport sur la sécurité routière, je crois qu'il faudra attendre encore longtemps.
*Au fait, l'un d'eux est Jean Panhaleux, un ancien de la DSCR (Sécurité Routière). Cela ne relève-t-il pas du conflit d'intérêt ?