J'ai lu avec intérêt la biographie sur Elon Musk : "Tesla, PayPal, SpaceX : l'entrepreneur qui va changer le monde". Cet ouvrage, signé Ashlee Vance et publié en France par Eyrolles, décline sur plus de 300 pages la vie rocambolesque de celui qui veut envoyer l'homme sur Mars et veut démocratiser la voiture électrique. Ce n'est pas une hagiographie, comme on en lit si souvent quand un journaliste s'intéresse à une icône de l'économie ou de la technologie. Et en plus, on apprend quelques anecdotes sur Tesla qui relativisent la success story en provenance de la Silicon Valley.
En fait, c'est un ingénieur américain, Martin Eberhard, qui a fondé la marque de voiture californienne en 2003. Il se passionnait pour les voitures électriques - un sujet qui intéressait aussi Musk*, il est vrai - et c'est à lui qu'on doit la technologie de batteries avec l'assemblage de nombreuses cellules lithium-ion. A l'époque, le PDG de SpaceX était déjà réputé pour avoir revendu à bon prix Pay Pal (dont la technologie vient d'une société avec laquelle il avait fusionné) à Compaq. C'est donc à titre d'actionnaire qu'il a été approché et s'est lancé dans l'aventure Tesla. Il en deviendra le PDG en 2007, en chassant Eberhard et en sauvant probablement la compagnie, qui perdait alors beaucoup d'argent.
Elon Musk a la réputation d'être très dur, inhumain même. Il impose des objectifs irréalistes et demande le maximum tout le temps à ses employés. A défaut d'avoir eu l'idée originale, on peut quand même lui reconnaître un certain don pour le business et une compétence technique qui permet d'aller plus loin dans un secteur donné.
Et c'est vrai que Tesla a innové, avec la tablette géante de la Model S (que Musk a imaginé et imposé) et son réseau gratuit de super chargeurs. C'est vrai que les mises à jour "over the air" n'avaient jamais été appliquées avant et que la marque a incité les autres constructeurs à en faire de même. Dans une moindre mesure, l'Auto Pilot incite aussi l'industrie à avancer sur le véhicule autonome**.
Mais, la vraie passion du patron, c'est l'espace. Musk veut sauver le monde.
Au fil du livre, on sourit lors du récit de la gestation du roadster. Un modèle sorti affreusement en retard (comme d'ailleurs pas mal de projets de Musk en général) et pour lequel les VIP faisaient le siège du bureau du PDG de Tesla, sans savoir qu'il accumulait les pannes techniques. Autre révélation : la première Model S (projet de code initial : White Star) révélée aux médias n'était qu'un grossier bricolage, avec une carrosserie qui tenait à peine. Mais surtout, on apprend que Musk avait consulté le designer Henrik Fisker pour dessiner la Model S. Ce dernier a déçu, mais ses dessins ont donné naissance par la suite à la Fisker hybride rechargeable.
On apprend également qu'un deal avait été conclu entre Elon Musk et Larry Page, l'un des dirigeants de Google (qui est l'un de ses meilleurs amis), pour que le géant du Net rachète Tesla si la société venait à faire faillite. Un deal qui ne sera finalement pas conclu, un prêt du gouvernement venant sauver la marque au dernier moment.
Ce que je retiens également, c'est que Musk a soupçonné Better Place d'avoir pompé son idée d'une station d'échange de batteries. Curieux, car la société israélienne a présenté le concept bien avant. Mais, Musk soutient que Shaï Agassi aurait entendu parler de cette idée, en venant visiter les locaux de Tesla.
La vraie force d'Elon Musk c'est d'avoir créé des sociétés qui développent des synergies entre elles. Ainsi, les techniques de soudure par friction-malaxage mises au point par SpaceX vont servir chez Tesla pour fabriquer des voitures plus solides et plus légères à la fois. Quant à Tesla, ses batteries peuvent servir chez SolarCity.
Ce qu'on attend maintenant, après le lancement de la Model X, c'est la sortie de la Model 3. Mais, le PDG fantasque qui a servi de modèle au personnage de Tony Stark dans Iron Man est attendu au tournant. Plusieurs projets visent à rivaliser avec la Model S et la concurrence pour les véhicules "mainstream" va en fait venir de Chine (où les volumes sont faits par BYD, pas par Nissan et encore moins Tesla qui va devoir s'associer à un constructeur local sous peine de se couper du marché). Il n'en reste pas moins que le succès de la Model S fait de l'ombre à Renault-Nissan (dont Ghosn n'est pas cité une seule fois dans le bouquin).
Pas sûr donc que Tesla puisse faire la différence sur le long terme, même si Musk peut encore surprendre avec son projet de giga-usine dans le Nevada pour réduire le coût des batteries. En revanche, il a un tempérament de conquérant et peut relancer l'aventure spatiale. Cela peut paraître dingue, mais à moins d'un coup dur financier, je le crois assez barré pour concrétiser son rêve d'envoyer un jour des hommes sur Mars.
*C'est ainsi que le PDG de Tesla est cité tout au long du livre.
**A ce propos, on apprend que Tesla travaille en étroite coopération avec Bosch et qu'un ingénieur maison supervise tout de A à Z. La marque a une vraie connaissance technique.