lundi 8 avril 2013

Diesel : à quand un débat dépassionné et objectif ?

Hier, je suis tombé par hasard sur l'émission Dimanche + de Canal, qui consacrait un sujet au diesel dans la rubrique "French paradox". A l'image de ce qui se fait en général à la télévision, ce "reportage"* était une accumulation de lieux communs et d'affirmations brandies comme des vérités premières, avec un témoignage d'une portée scientifique considérable : celui d'un journaliste du Süddeutsche Zeitung qui appelle au rééquilibrage des taxes ! En clair, le diesel a une nocivité prouvée ("même les moteurs les plus récents") et il faut absolument faire quelque chose pour aider ce pauvre Léon ("un militant écolo révolté", mis en scène sur un vélo pour dénoncer les particules fines cancérogènes). Heureusement que Canal Plus est là pour dénoncer ce scandale d'Etat et ce blog pour replacer les choses dans leur contexte.



Corrigeons d'abord quelques points. S'il est vrai que sous De Gaulle le diesel a été mis en avant pour les voitures dans les années 60 (en raison de la priorité accordée au nucléaire pour la production d'électricité), avec une fiscalité plus favorable, il s'est passé deux ou trois petites choses depuis. Le marché du diesel n'a décollé en fait qu'à partir de 1998, date à laquelle est apparue l'injection directe à rampe commune (dite common rail). Couplée à un turbo, la technologie a permis à la fois de rendre le moteur diesel bien plus agréable et performant, tout en réduisant la consommation. Et c'est grâce aux progrès continus que les conducteurs préfèrent rouler au diesel, y compris dans le haut de gamme et pour les modèles sportifs. Sans la technique, le diesel n'en serait pas là aujourd'hui, nonobstant le prix du carburant qui joue aussi un rôle. L'autre levier a été le bonus malus qui, sous le couvert de la réduction du CO2, a fait exploser le marché à partir de 2009. Car, avec une consommation de carburant de 20 à 30 % inférieure, le diesel est évidemment mieux placé pour récupérer le bonus. C'est ainsi que la mesure décidée par Jean-Louis Borloo a, non seulement plombé les finances publiques, mais, surtout contribué à lancer sur le marché des dizaines de milliers de petites voitures diesel non équipées de filtres à particules. Et là, on peut parler de vrai problème sanitaire. Mais, ce n'était pas dans le sujet. On ne va quand même pas critiquer les hommes politiques**...


Un classement montre ensuite la France en tête des pays pour la part du diesel dans les ventes de voitures neuves. Si la part de marché est effectivement chez nous de 72 % (72,9 % selon l'édition 2012 du tableau de bord automobile du CCFA), elle est de 76,1 % au Luxembourg et de 73,1 % en Irlande : deux pays qui font encore mieux que nous. Ni le Portugal (70,1 %), ni la Belgique (68,8 %) ne sont cités non plus. Au passage, mais est-ce surprenant ?, les chiffres de l'Espagne (68,9 %), du Royaume-Uni (50,8 %) et de l'Allemagne (48,1 %) ne sont pas tout à fait exacts. 


A propos de la "nocivité prouvée" du diesel : combien de fois faudra-t-il répéter que la fameuse étude de l'OMS qui conclut au diesel cancérogène est à lire avec précaution. Le communiqué du 12 juin 2012***, qui figure sur le site du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), se rapporte à des cas de cancer chez des mineurs de fond aux Etats-Unis exposés à des moteurs d'ancienne génération. Le communiqué fait allusion aux nouvelles technologies, dont le filtre à particules et écrit : "on ne sait pas encore clairement si ces modifications quantitatives et qualitatives peuvent se traduire par un effet différent sur la santé". En clair, on ne sait rien mais cela n'empêche pas Canal Plus d'englober "même les moteurs récents" dans la "nocivité prouvée" du diesel.


Autre détail qui montre à quel point le sujet a été préparé avec sérieux. Le sujet de Canal évoque à un moment "les deux seules voitures hybrides françaises, dont une est utilisée par notre président" Sur ce dernier point, l'auteur du sujet a raison. "Pépère" roule en Citroën hybride. Pour le reste, la gamme PSA compte juste 4 voitures hybrides diesel (Peugeot 3008 et 508 Hybrid4, Peugeot 508 RXH, Citroën DS5 Hybrid4). Maintenant qu'ils ont la formule 1 chez Canal, ils vont peut-être faire un peu plus attention à ce qu'ils racontent sur l'automobile.


Alain Juppé, qui était en plateau pour réagir, a bien tenté d'expliquer que les constructeurs avaient fait des progrès et que les moteurs récents n'avaient rien à voir. Mais, face au sourire en coin d'Anne-Sophie Lapix, il s'est repris en disant "c'est ce qu'ils disent". Et nous voilà au coeur du problème. Les constructeurs auront beau faire, prouver par A + B que les moteurs conformes à la norme Euro 6 sont bien moins polluants, ils seront forcément suspects aux yeux de la "grande presse", qui sera par contre toujours bienveillante par rapport à un militant comme Léon ou un élu vert. Cela rassure sans doute les bobos qui font leur marché bio (tout en roulant en 4X4 pour aller à Courchevel). Bon courage donc à PSA, qui a prévu de communiquer le 17 avril sur le BlueHDI, sa motorisation diesel de nouvelle génération. Dans notre beau pays, on ne peut pas discuter. On tombe tout de suite dans l'excès et les grands débats du type "faut-il interdire le diesel ?". Pendant ce temps, les allemands se marrent. Eux, qui ont inventé le diesel, en vendent désormais aux Etats-Unis sous l'étiquette "Clean diesel".

*Lien :http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3354-c-dimanche.html?vid=846270
**A ce propos, il est étonnant qu'un gouvernement de gauche avec des alliés verts n'ait pas instauré un seuil des polluants pour conditionner les bonus. C'est incompréhensible et révélateur d'une certaine incompétence.
***http://www.iarc.fr/fr/media-centre/pr/2012/pdfs/pr213_F.pdf