Un rapport réalisé par la Fabrique Écologique pour le Forum Vies Mobiles s'est penché sur le rôle du véhicule autonome dans la transition écologique. Et que dit-il ? En résumé, que sa contribution à la décarbonation de la mobilité ne peut être au mieux que "marginale" et que sa diffusion "risque à l’inverse" d’augmenter fortement les émissions de CO2 liées au transport. Ce document propose donc de faire à la place des transports en commun et de produire plutôt des voitures légères et low-tech. Pas de doute, on a affaire à des cerveaux... Accessoirement, il faut préciser que le Forum en question est un think tank de la SNCF.
Bon, quand on lit le communiqué de presse, on devine déjà dans quel esprit a été mené ce "travail". "Le véhicule autonome est l’objet de tous les fantasmes depuis des années. Ces dernières années, les constructeurs et les GAFAM ont rivalisé d’imagination et de technologies pour proposer de nouveaux modèles et ce avec le soutien des Gouvernements". "Le véhicule autonome est en effet porteur de toutes les promesses et notamment celle d’être moins polluant", peut-on lire. Mais, ces "discours prometteurs" cachent "des conséquences écologiques potentiellement catastrophiques".
Ainsi, les auteurs font état d'une intense compétition mondiale et "d’un lobbying répondant avant tout à des stratégies économiques". Lesquels pointent des "impasses technologiques et juridique difficiles à dépasser dans les années qui viennent". Et ils s'inquiètent d'une "augmentation des distances parcourues et de la consommation d’énergie".
Tout cela pour dire au fond que, "si un scénario plus écologique mettant le véhicule autonome au service d’une mobilité davantage partagée reste possible", "il sera techniquement impossible à mettre en œuvre avant 2050"...
La méthodologie de l’étude réalisée par La Fabrique Ecologique me laisse rêveur. Elle se base sur la lecture de la "littérature grise et savante, technique et théorique consacrée au véhicule autonome" (si c'est les notes glissées en bas de l'étude, c'est plutôt maigre). Et ce travail de titan s'appuie sur une dizaine d'entretiens "semi-directifs de type informatif" réalisés auprès d’acteurs engagés dans sa conception et sa mise en place. je précise qu'un seul industriel a été interrogé (Vincent Abadie de PSA). Le reste, c'est plutôt des universitaires et des fonctionnaires.
Ah oui, il y a un élu de la Brenne... Tout cela parce que le véhicule autonome est surtout urbain (ou présenté comme tel). je constate au passage que l'étude ne fait pas mention de l'expérimentation menée à Rambouillet (projet Tornado avec Renault).
Autre limite de l'étude : elle ne s'intéresse qu'au transport de passagers. Or, là où le véhicule autonome a encore plus de potentiel c'est justement pour la livraison du dernier km et la logistique. Un domaine où la SNCF ne brille pas tellement il est vrai.
Voici ce que j'en pense. Ce rapport de 120 pages se base sur des études pompeuses et des experts qui n'en sont pas. Il aurait été pertinent de demander l'avis de Transdev, qui cumule plusieurs millions de km avec des navettes autonomes et peut donc témoigner que ce mode de transport peut être complémentaire du transport public. Et qu'il peut remplir une mission de desserte là où les bus et les tramways ne peuvent répondre à la demande. Mais c'est ballot, on n'a pas pensé à leur demander. Cela aurait été pertinent aussi de s'intéresser à la smart city que Toyota a commencé à élaborer au Japon et où le transport sera assuré par des navettes autonomes.
Pas de trace non plus de l'étude réalisée pour l'OCDE qui disait que l'on pouvait réduire potentiellement de 90 % le nombre de voitures particulières avec des robots-taxis dans une ville comme Lisbonne...
Je passe sur les énormités (du type, les véhicules autonomes seront peut-être alimentés au gaz naturel, alors que l'électrification est tellement évidente, la 5G n'arrivera qu'en 2050 dans les territoires ruraux) et j'en viens au fait. Il est pourtant assez clair que le véhicule autonome va plutôt apparaître pour de la mobilité partagée. C'est bien ce que fait Google. Et partout où les navettes ont été déployées (à l'exception notable du quartier de la Défense), la cohabitation avec les autres usagers s'est plutôt bien passée. L'étude aurait pu demander l'avis de Navya et d'Easymile des fois que ces acteurs (français en plus) auraient des choses à dire.
Elle préfère pointer le coût des équipements embarqués à bord des voitures particulières, celui d'un équipement de l'infrastructure (est-ce vraiment nécessaire de faire des voies dédiées ???) et incriminer au passage la connectivité (ah, la 5G... et bien sûr la génération de données en masse). J'y vois une méfiance envers la technologie, sachant qu'un cycliste qui consulte son smartphone et que ceux lisent leurs mails dans le TGV en produit déjà.
L'étude semble ignorer que les constructeurs automobiles changent de métier et ne pensent pas que "véhicule individuel". Ils s'engagent de plus dans une mobilité globale qui englobe même le transport public et la trottinette. Mais quand on n'interroge que des universitaires et des chercheurs coincés dans leur bulle, ce n'est pas si étonnant. Au moins, ils s'amusent à travers un atelier de la "vie robomobile*" animé par le ministère de l'Ecologie.
Quant à la voiture low tech et low cost, elle existe déjà. Elle est proposée par Dacia et elle n'est pas faite en France. Par ailleurs, les normes édictées par l'Europe et d'autres continents ne plaident pas vraiment en faveur de la simplification. Le retour à la 2CV est utopiste, tout comme celui de la charrue et du percheron.
Au nom d'une écologie castratrice, il est plus simple de dire que le véhicule autonome ce n'est pas bien et que c'est mieux de faire du vélo. C'est plutôt faiblard intellectuellement. La science mérite mieux que cela, assurément.
*L'Atelier a été conçu et constitué par la Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM) et la Direction de la Recherche et de l’Innovation (DRI) du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES) et du Ministère des Transports (MT), associés à la Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN), à travers le Plan Urbanisme Construction Aménagement (PUCA), ainsi qu’à l'Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux (IFSTTAR) et au Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET). Ce noyau fondateur (comité de pilotage) est appuyé, pour les phases de mise en route, par le cabinet Stratys, spécialisé en prospective et stratégie publiques.