samedi 28 novembre 2020

L'hydrogène pour les nuls

Mes activités font que je côtoie régulièrement les acteurs de cette filière et que je traite surtout l'actualité au quotidien depuis 5 ans (sachant que j'ai un historique bien antérieur*). Autant dire que j'ai pu voir l'évolution, et pas seulement dans notre petit hexagone. Que cela plaise ou non, le train de l'hydrogène est déjà parti. Et c'est à l'échelle du monde. La question n'est pas de savoir quand cela va arriver, mais plutôt qui peut se permettre de passer à côté....

Quand vous voyez un acteur comme Plastic Omnium qui a déjà dépensé 215 millions dans ce domaine et qui va investir 100 millions par an, il y a de quoi se poser des questions. Quelle mouche a donc piqué les décideurs ? Soit ils fument de la bonne (et ce n'est pas trop le genre de la famille Burelle, je crois), soit ils ont de bonnes raisons de penser qu'il faut y aller et ne pas jouer petits bras. C'est aussi pour cela que Faurecia et Michelin, Bosch et d'autres (Continental, Mahle..) y vont aussi. 

Par rapport aux constructeurs, les équipementiers ont l'avantage d'échanger avec tous les industriels, et pas que dans l'auto. Or, il y a des besoins à satisfaire tout de suite dans l'utilitaire et le camion, où la batterie n'est pas le bon moyen. L'automobile arrivera plus tard, une fois que le prix des composants aura baissé. Plastic Omnium se fixe un objectif de 6 à 8 000 euros à l'horizon 2030. 

Et à cette date, le réseau de distribution aura eu le temps de passer (un peu plus) à l'échelle. je vais y revenir.

Aujourd'hui, je vois passer des articles qui relaient des idées reçues qui datent d'il y a au moins 10 ans. On peut lire que ce n'est pas mûr, que c'est dangereux, etc... L'hydrogène est forcément gris (donc issu des hydrocarbures) et ce serait une chimère. 

Si la France était le seul pays au monde à se lancer dans le monde, je pourrais comprendre. A une époque, quand le Japon était dans son coin, ça faisait ricaner. Puis, quand la Chine a dit on y va à fond et que la Corée du Sud a embrayé avec des objectifs très ambitieux, ça rigolait déjà un peu moins. Dans ces pays, il y a un fort soutien des pouvoirs publics et une action coordonnée pour produire localement des piles à combustible (avec la volonté d'être compétitif, pas pour occuper des chercheurs) et construire en même temps un réseau de ravitaillement.

Et quand, faute d'une offre existante (parce que les constructeurs traînaient les pieds), on voit un Hyundai débarquer en Suisse avec un contrat portant sur 1 600 camions, ça devrait mettre la puce à l'oreille. Le même groupe a placé aussi des camions en Chine et aux USA.

Mais, revenons en France. Les sceptiques se basent sur ce qu'a fait Air Liquide pour dire qu'une station coûte 1 million d'euros et que ça ne marchera jamais. D'ailleurs, il y a peu de stations hein, hein ! Bon, si on se base sur le (défunt) plan Hulot et la PPE (la loi qui fixe des objectifs sur la programmation énergétique), l'objectif de 100 stations est toujours valable pour 2023. Et ce qu'il faut savoir, c'est que ce sont les collectivités qui veulent de l'hydrogène. Les régions s'engagent sur des plans à hauteur de 100 millions et plus. Et la volonté est la même dans les métropoles et les communautés de communes. Toutes ces collectivités vont lancer des pôles de production et des stations. C'est l'essence même des écosystèmes mis en avant par les appels à projets de l'ADEME.

C'est ce que j'appelle les grands ensembles. Contrairement à un schéma de pensée étriqué (il faut des véhicules sinon pas de stations, ou bien pas de stations pas de véhicules) qui prévalait jusqu'à présent, il faut agir en mode 360. C'est à dire : prévoir d'entrée de jeu une production massive (et principalement d'hydrogène vert à partir d'électrolyse) et en même temps les applications, en mutualisant au passage les usages. Si l'on en prend l'exemple de l'Occitanie, il y aura une production de H2 qui pourra bénéficier sur les aéroports à plusieurs types de véhicules, du vélo à l'avion en passant par les voitures, les camions et les bus.

Parce que la décarbonation concerne tous les modes de transport, y compris le train et le bateau, il est logique de mutualiser les coûts. Si l'on prend un autre exemple qui est celui de la Bretagne, la région veut mettre en place des stations dans les ports. Même les communes rurales veulent se lancer car elles y voient un moyen d'être autonomes en énergie.

Si je prends une image empruntée aux télécoms, c'est ce qu'on pourrait appeler un déploiement en tâches de léopard. A défaut d'avoir une couverture homogène, les multiples initiatives reviennent à créer progressivement un réseau national. Et figurez-vous qu'il existe déjà une application (H2 360°) pour localiser sur smartphone les stations.

Evidemment, l'hydrogène ne fera pas tout dans la mobilité. Ce vecteur d'énergie est complémentaire de la batterie et il a un rôle à jouer, de toute évidence. D'ailleurs, chez les constructeurs français, qui ont traîné des pieds pendant pas mal de temps, il y a de plus en plus de projets H2. Ce que je peux signaler aussi, c'est que le monde de la compétition s'intéresse à l'hydrogène. C'est prévu en 2024 aux 24 h du Mans. La dernière annonce en date concerne le Dakar en 2023 avec Cyril Despres et l'aventurier Mike Horn. Je pourrais parler aussi des projets dans le DTM en Allemagne...

Si on parle autant d'hydrogène aujourd'hui, c'est qu'il peut s'appliquer dans beaucoup de domaines. Il peut aider à verdir le secteur de l'industrie, aider à stocker pendant des mois de l'électricité issue des EnR, ou encore être utilisé dans les maisons pour se chauffer et même faire la cuisine (l'hydrogène peut être injecté sous forme de mélange dans les réseaux de gaz naturel).

Donc, on va en voir dans le domaine de la mobilité. L'un des usages les plus pertinents est d'ailleurs celui des taxis. Hype, avec les 600 véhicules annoncés à terme sur l'Ile-de-France en est une illustration. 

Pour terminer, je voudrais signaler que j'étais ce vendredi chez Ad-Venta dans la Drôme. J'ai animé un webinaire pour cette petite boîte qui est née il y a 15 ans. Cet événement a permis aussi de faire intervenir McPhy, Symbio, Pragma, H2SYS et même SeaBubbles.

On a la chance, en plus, d'avoir en France un savoir-faire et des acteurs qui maîtrisent la technologie. En vérité, il y a chez nous toute la chaîne de valeur d'une industrie qui permet de produire localement et à partir de ressources renouvelables** une énergie durable. Et on se pose encore des questions ????

*Contrairement à ceux qui ont découvert l'hydrogène il y a un an ou deux, et qui prétendent s'y connaître, moi je me suis penché dessus il y a 20 ans et j'ai même écrit un livre sur le sujet en 2007 avec l'ancien patron de la recherche de Renault.

**A partir de l'éolien et du solaire, mais aussi du biogaz (déchets, agriculture) et même du bois (par la pyrolyse).