mardi 7 mars 2023

Les e-Fuels ou l'hydrogène pour prolonger le moteur thermique ?

L'Allemagne a donc réussi à suspendre le processus visant à bannir en Europe le moteur thermique à l'horizon 2035. Sa signature est liée à l'autorisation des carburants de synthèse, les e-fuels. Berlin aimerait que ces carburants, fabriqués à partir d’électricité et neutres en carbone (s’ils utilisent du CO2 prélevé dans l’atmosphère), puissent être utilisés au-delà de cette échéance, dans des véhicules à moteur à combustion. Très influent en Europe, ce pays souhaite que plusieurs options soient disponibles : les batteries, l’hydrogène et les moteurs à carburants non fossiles. 

Il s'agit à ce stade d'une pause dans le processus, pas forcément d'un abandon de la loi. Et en vérité, les plus surpris sont sans doute les constructeurs, qui dans l'ensemble ont tous anticipé les décisions européennes et engagé d'énormes investissements (plateformes, moteurs électriques, batteries, sécurisation des matières premières) pour électrifier leurs gammes. Finalement, Renault a peut-être eu le nez creux de conserver ses activités dans le moteur thermique à travers l'organisation Horse (avec Geely et Aramco). 

Voyons ce qu'on entend par carburants de synthèse. Tout le monde a à l'esprit le projet que Porsche a initié au Chili, à Punta Arenas. Il s'agit dans un premier temps de générer de l'électricité renouvelable à partir d'éoliennes, de l'utiliser avec de l'eau pour faire une électrolyse et obtenir de l'hydrogène, dont la combinaison avec du CO2 va permettre de fabriquer des carburants liquides de synthèse. La filiale de VW destine cette essence au championnat Porsche Supercup, ainsi qu’aux centres de la marque avec circuit. L'objectif est de produire 130 000 litres pendant la phase expérimentale, puis 55 millions de litres d’ici 2026 et 550 millions de litres avant la fin de la décennie. Le site-pilote est situé près du détroit de Magellan, ce qui simplifie les livraisons par bateaux (qui pourraient eux-mêmes utiliser de tels carburants de synthèse.

Chez les constructeurs allemands, notamment Volkswagen et Audi, on a eu l'occasion de tester des carburants alternatifs (R33 pour le premier, e-diesel pour le second). L'ancien PDG du groupe, Herbert Diess, n'y croyait pas du tout. Mais désormais, c'est l'ancien patron de Porsche qui tient le volant. Chez les équipementiers, Bosch pousse également à fond les e-fuels. Pour le groupe, ces carburants neutres en carbone ont l'avantage de pouvoir fonctionner sans changement sur les moteurs et d'utiliser les stations existantes. 

D'un point de vue environnemental, les avis sont plus nuancés. L'association T&E, influente à Bruxelles et qui milite exclusivement pour l'électrique, considère que ces carburants ne seront jamais écologiques. D'autre part, le Vice-Président de la Commission, Frans Timmermans (qui est commissaire européen à l’Action pour le climat), ne souhaite pas que les e-fuels soient utilisés dans le transport routier. Il considère qu'on devrait plutôt les réserver à l'aviation et au transport maritime, des secteurs où l'électrification n'est pas une option viable. Son avis est motivé par le fait qu'il faut beaucoup d'énergies renouvelables en amont pour produire ces carburants.

On remarquera qu'en France, le projet BioTFuel* a débouché sur la création d'une société (BioTJet) qui va produire des carburants de synthèse pour l'aviation. Elle a pour actionnaires : Elyse Energy, Avril, Axens, Bionext et IFP Investissements (filiale d’investissement d’IFP Energies nouvelles). A l'origine, le projet prévoyait de faire aussi du Biodiesel, en plus de l'e-kérosène.

La France n'est pas du tout dans cette dynamique de carburants synthétiques pour les voitures, les autres pays d'Europe et du monde non plus d'ailleurs, sauf peut-être le Japon. En revanche, on peut noter que plusieurs acteurs - et non des moindres - misent plutôt sur le moteur à combustion à hydrogène. Même Toyota, qui a été un pionnier dans la pile à combustible, met en avant ce type de moteur, qu'il teste en compétition. Le sujet est considéré de près par Renault (qui va collaborer avec Punch Torino sur le sujet) et en particulier sa filiale Alpine, de façon plus distante par Stellantis. Un certain nombre d'équipementiers et de spécialistes des moteurs (AVL, Bosch, Borgwarner, Cummins, FEV, Oreca, Punch, Volvo Powertrain) y voient un réel intérêt, que ce soit pour la compétition automobile, les applications "off road" et peut-être les véhicules de série.

Ce n'est pas un hasard si la SIA (Société des Ingénieurs de l'Automobile) organise des conférences internationales sur le sujet, comme celle qui va se tenir à Orléans le 30 mars.

Un motoriste m'a confié que ce type de technologie a désormais toute l'attention des décideurs à Bruxelles, alors que ce n'était pas le cas il y a un an. Le grand intérêt de l'hydrogène utilisé comme carburant est que l'on se rapproche du 0 gramme de CO2 et que les rejets polluants sont minimes. Il est plus efficace que les e-fuels. Et puis, l'hydrogène est devenu un pilier essentiel de la stratégie de la Commission. Un hydrogène vert (ou renouvelable) paré de toutes les vertus, car pouvant être produit localement, même s'il y aura à 50 % des importations. 

Bien sûr, on peut objecter qu'il faudra développer des stations et que le coût est élevé à la pompe. Mais, les e-fuels aussi coûteront cher. La dynamique est plus favorable à mon sens pour l'hydrogène, dont la molécule servira pour les carburants durables (aviation et maritime) et qui pourra à la fois dans des véhicules équipés de piles à combustible et de moteurs à combustion. Le moteur ICE H2 comme on dit a le mérite de préserver un outil industriel et d'amorcer la pompe de la mobilité hydrogène, en attendant que les composants pour le zéro émission aient atteint un coût plus compétitif. Dans cette configuration, l'Europe pourrait conserver sa souveraineté technologique (mise à mal par l'électrique à batterie qui ouvre un boulevard aux Chinois) et décarboner en même temps le transport routier (bus, camions, autos). 

La Commission pourrait peut-être utiliser cette carte pour amadouer Berlin, plutôt que les e-fuels. A moins qu'elle ne cède et autorise à la fois les carburants de synthèse et l'hydrogène pour que la filière automobile puisse encaisser un peu mieux le choc de la transition énergétique.

*Projet lancé en 2010 avec pour partenaires Avril, Axens, le CEA, IFP Energies nouvelles, Thyssenkrupp Industrial Solutions, et Total, en vue de tester, de valider et d’optimiser une chaîne complètement intégrée pour la production de biokérosène et biodiesel avancés. BioTFuel a été soutenu par l'ADEME et son Fonds Démonstrateur de Recherche, par la région Hauts-de-France et la Communauté Européenne via le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), ainsi que par Bionext et l'association française des producteurs d'oléagineux via le fonds FASO.