samedi 19 août 2017

Camion autonome : Tesla à la remorque des constructeurs ?

Dans un article récent, Les Echos titraient que la course au camion autonome s'accélère avec Tesla. Il est prévu que le fabricant de voitures électriques dévoile en septembre un prototype de tracteur pour semi-remorque, qui reprendra la technologie Auto Pilot des Model S et X. Ce qui permettra au conducteur de lâcher le volant et les pédales sur autoroute. Ce camion semi-autonome pourra également circuler en convoi de véhicules interconnectés et guidés par le camion de tête. Formidable, mais ça existe déjà. Et depuis longtemps en plus.


Mais, comme d'habitude, puisque cela vient de Tesla, c'est forcément géniaaaaal. A ce propos, signalons quand même que les articles consacrés au camion de Tesla utilisent en illustration une image de profil du Nikola One, du nom du challenger de Tesla (Nikola), pour ne pas qu'on puisse lire le logo. C'est drôle quand on sait que ce camion roule à l'hydrogène, une solution que dénonce Elon Musk.

L'auteur de l'article des Echos a le bon goût de rappeler que d'autres acteurs ont déjà travaillé sur le sujet, dont Daimler, Volvo, Uber (via la start-up Otto, qu'il a rachetée) et Google. Si l'on en croit la suite du récit, l'histoire du camion autonome remonte à 2014, quand Mercedes a fait rouler pour la première fois sur une autoroute allemande un prototype*. Sauf que tout a commencé bien avant. En fait, Internet a une mémoire de poisson rouge. Quand on fait une requête, Google sort les derniers résultats. Et il s'agit, généralement, d'articles rédigés par des américains sur des acteurs américains. C'est pour cela d'ailleurs qu'ils parlent de Freighliner (qui appartient à Daimler) et non pas de Mercedes, par exemple.


Pour les lecteurs plus exigeants, le camion autonome est à l'étude depuis les années 90. Et comme c'est souvent le cas, c'est d'Europe qu'est partie la réflexion. Dans le cadre du programme Promote Chauffeur, qui a eu lieu en deux étapes (de 1996 à 1998, puis de 2000 à 2003), Mercedes a coordonné des travaux sur la circulation de camions en convoi. Le projet s'est déroulé en coopération avec Fiat-Iveco, Bosch, ZF et Wabco. Renault Trucks a rejoint plus tard le consortium. L'idée était de développer un attelage électronique (tow bar), permettant de relier virtuellement plusieurs camions qui seraient alors guidés par un poids-lourd de tête. La technologie reposait déjà sur des caméras (à infrarouge), une communication de véhicule à véhicule (protocole de communication par ondes radio à 5,8 Ghz), ainsi que sur un contrôle de la direction, de l'accélérateur et du frein. Les camions ont roulé sur l'autoroute du Brenner, en Autriche, en conditions réelles. Mais bon, il n'y avait pas Facebook et Youtube à l'époque. Donc, ça ne compte pas. Pourtant, il avait été fait la preuve qu'il était possible de faire rouler des camions en convoi, se suivant de très près (6 à 13 m de distance), avec à la clé une économie de 20 % sur la consommation de carburant.


Le sujet est revenu sur le tapis un peu plus tard, toujours en Europe, dans le cadre du projet SARTRE (Safe Road Trains for the Environment). Mené par Volvo et soutenu par l'Union européenne, ce projet lié à la conduite autonome a débouché en 2012 sur un test sur route ouverte. Dans la région de Barcelone, pendant 200 km, un camion a entraîné derrière lui en mode automatique un autre poids-lourd et trois voitures. Mais, c'était en Espagne, pas dans l'ouest américain.


Retour à l'époque actuelle. Après avoir exposé son concept de camion Future Truck 2025 à Francfort à l'IAA (International Commercial Vehicles show), Mercedes a obtenu une licence dans le Nevada en 2015 pour commencer les tests d'un Freighliner autonome, avant de faire rouler quelques mois plus tard en Allemagne un Actros autonome sur l'autoroute A8 entre Denkenkorf et Stuttgart.


En avril 2016, Daimler et cinq autres constructeurs européens (DAF, Man, Iveco, Scania et Volvo) ont participé à l'European Truck Platooning Challenge 2016, organisé par les Pays-Bas (qui présidaient alors l'Union Européenne). Des convois automatisés sont partis d'Allemagne et de Suède pour rallier Rotterdam. La Hollande, c'est moins glamour que les US. Donc, l'impact médiatique a été moindre.


Fin 2016, de l'autre côté de l'Atlantique, Uber a franchi une nouvelle étape, avec la première livraison en camion autonome de canettes de bières dans le Nevada. Là, ça a été très médiatisé. Une première réalisée grâce au rachat de la start-up Otto, fondée par des anciens de Google. Ce dernier avait d'ailleurs mal réagi en portant plainte contre ses anciens employés, accusés de lui avoir dérobé des secrets technologiques. Quelques mois auparavant, à travers sa filiale Waymo, dédiée aux véhicules autonomes, le géant du Net avait en effet débuté les essais de son propre camion autonome.

Vous verrez, début septembre, les médias annonceront que Tesla a inventé le camion autonome.

Au fait, quelle est la road map ? Si les experts plus optimistes évoquent 2021 pour l’apparition des premiers exemplaires, les camions autonomes vont se déployer plus probablement entre 2025 et 2035, et dans un premier temps sur les autoroutes avant d’évoluer à terme en zone urbaine. Circulant en convois, et contrôlés à distance par des opérateurs derrière leur écran, ces « bahuts » n’auront plus besoin de chauffeur, ou que très ponctuellement.

*Future Truck 2025, qui a roulé sur l'autoroute A14 à Magdebourg (capitale du Land de Saxe-Anhalt, sur les rives de l'Elbe).