samedi 30 juin 2018

80 km/h : l'incompétence assumée

Pour m'intéresser à la sécurité routière depuis 30 ans, je n'ai pas souvenir d'une mesure qui a été autant contestée, à part peut-être le permis à points (mais qui inquiétait surtout les professionnels, dont les routiers), que le 80 km/h. En comparaison, le passage de 60 à 50 en ville a été beaucoup mieux accepté. Si cette mesure ne passe pas, c'est parce qu'il y a eu un problème de méthode (aucune consultation démocratique, refus du dialogue) et surtout une succession de mensonges pour tenter de justifier coûte que coûte un abaissement de la vitesse qui ne tient pas la route. On a eu droit à des chiffres bidon et à la confirmation (pour ceux qui croient encore au storytelling) que la Sécurité Routière est la seule administration de France à ne pas pouvoir fournir de stats fiables. Bref, c'est une insulte à la science et une insulte à l'intelligence.
Ce qui est insupportable, dans ce débat (qui n'a pas eu lieu en fait..), c'est que les commentateurs politiques et pseudo chercheurs nous disent que, bientôt, les résultats seront là et qu'on se rendra à l'évidence que le 80 était justifié. Ce n'est pas pour "emmerder les français", dit Edouard Philippe. Non, c'est pour les protéger malgré eux. Bien sûr... La rumeur dit que c'est un conseiller du Premier Ministre qui aurait soufflé l'idée au grand chef, qui a été séduit par la perspective de sortir de l'anonymat avec une mesure qu'il pensait courageuse. Il pensait se faire un nom. C'est fait. Edouard Philippe qui s'est entêté pour une mesure qui ne marchera pas et que le gouvernement paiera probablement lors de prochaines élections.

Si c'était vraiment justifié, et si la courbe des accidents était au plus haut, les français pourraient protester pour la forme et laisser faire. Là, ça ne passe pas. Et pourquoi ? Parce que les conducteurs se rendent bien compte que la France persévère dans un tout -répressif aveugle. Bien des pays font mieux que nous sans "emmerder" leurs habitants. Lors d'un congrès récent, la directrice du LAB (laboratoire d'accidentologie et de biomécanique commun à Renault et PSA), Anne Guillaume, a rappelé qu'au début des années 2000, Bruxelles avait proposé de réduire par deux le nombre de morts pour 2010. Echec. La baisse a été de 40 %. L'Europe a remis cela en 2011 en proposant de diviser par deux le nombre de morts en 2020. Ca ne marchera pas plus.

Mais, les ayatollahs de la route prennent ça au pied de la lettre, comme des fanatiques religieux qui brandissent des écritures. Le problème est que la mortalité routière ne représente qu'une infime partie (0,7 %) du nombre de tués en France. Et on a joué une fois de plus sur la peur et l'ignorance (plus c'est gros, plus ça passe) pour justifier l'injustifiable. Une mesure purement financière.

Dans les mesures annoncées en janvier, avez vous entendu parler d'efforts pour entretenir les routes, lutter contre l'alcool et la drogue ? Ou pourquoi pas, la formation ? Non. La recette la plus simple est celle de la réduction de la vitesse. Comme cela, on auto-alimente un système infernal qui rapporte des fortunes à l'Etat (1 milliard en 2017 pour les radars automatiques).

La France se grandirait en investissant sur l'avenir. Elle pourrait équiper les routes de systèmes communicants, dialoguant avec les véhicules. Là, il y aurait un intérêt réel. Mais, c'est de la science mon bon monsieur. C'est de la technologie. Et tout, cela les "experts" (je me marre…) qui sont consultés pour les mesures de sécurité routière n'en ont cure. Ils vivent dans leur bulle, bien à l'abri du monde extérieur et ancrés dans leurs certitudes (dont celle du fameux théorème de Nilsson). Ils sont peut-être surpris du reste qu'un Premier Ministre se soit montré aussi naïf (et aussi entêté, entraînant du reste tout le gouvernement et le Président aussi), en se lançant dans un combat perdu d'avance.

Triste France qui préfère les médiocres et les ignares... Triste pays qui ne comprend même pas qu'il dispose d'industriels et de chercheurs qui ont les vraies solutions, applicables tout de suite. La seule consolation est que 40 millions d'automobilistes ne va pas lâcher l'affaire et va éplucher les chiffres tous les mois. La DSR n'a pas fini de nous faire rire.