Dans un référé qui n'a été rendu public que tout récemment, la Cour des comptes révèle avoir conduit une enquête sur l'action de l'État pour le développement des transports intelligents. C'est ce qu'on appelle les ITS. Rappelant que Bison Futé est né il y a plus de trente ans, et que depuis le numérique a tout bouleversé, la Cour reproche à l'État d'être devenu progressivement "un acteur parmi d'autres", et même "un opérateur très minoritaire de la route, face à quatre cents autorités organisatrices de transport sur le territoire, dont chacune développe son propre projet, sans compter les initiatives des acteurs privés". Par ailleurs, peut-on lire dans ce document, "plusieurs ministères conduisent des politiques sectorisées souvent contradictoires ou mal coordonnées".
Après cette introduction, la Cour des Comptes fait une série de recommandations. La plupart ont appelé une réponse de la part du Premier Ministre.
1-La nécessité de désigner un chef de file des transports intelligents pour coordonner les actions de l'État.
Un point important, mais qui n'inspire guère Manuel Valls. Et pour cause : c'est du ressort... d'Emmanuel Macron. C'est le locataire de Bercy qui a la haute main sur ce qui a remplacé la Nouvelle France Industrielle. Les différents plans sur le transport, dont celui sur le véhicule autonome, ont été regroupés sous une thématique mobilité écologique. Et Carlos Ghosn, qui avait été nommé chef du projet pilotage automatique (ce qu'il ne faisait de toute façon pas, car il était représenté par Jean-François Sencerin de Renault), se retrouve dans un comité regroupant aussi Florence Lambert (DG du CEA Liten), Gilles Le Borgne (Directeur de la R&D de PSA Peugeot Citroën), Gaspar Abelan Gascon (Directeur de la R&D de Renault) et Francis Vuibert (Préfet hors-cadre). Donc, pas de pilote unique.
Hasard du calendrier : Emmanuel Macron a pu tester hier un Espace autonome qui a roulé sur l'autoroute A4 à la sortie de Paris. Il s'est fait également prendre en photo dans le C4 Picasso de PSA. Le ministre recevait justement les chefs de projet hier.
Au détour de sa réponse, le Premier Ministre suggère toutefois de reprendre l'une des propositions du Livre Vert rédigé par l'ATEC-ITS France : "un dispositif de gouvernance, léger et adaptable, propre à mobiliser les acteurs français autour d'une vision stratégique partagée". Et il pense que le pilotage devrait être assuré par le ministère de Ségolène Royal.
Pour sa part, l'ATEC ITS France propose de mettre en place le comité stratégique de la mobilité intelligente.
2-Une stratégie de développement des transports intelligents à renforcer
La Cour rappelle que "ce n'est qu'en février 2014 que l'État s'est doté de la stratégie Mobilité 2.0*, portée par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie".Celle-ci prévoyait notamment un projet de calculateur national multimodal... qui a été "de facto abandonné". Elle plaide aussi pour "l'égalité d'accès aux transports" (seuls les citadins accèdent au transport intelligent) et "une politique d'ouverture des données qui reste à conforter". Sur ce dernier point, "la France a du retard dans ce domaine, comme l'indique un travail universitaire récent qui compare les données de mobilité mises à disposition à Paris, Londres, New York, Toronto, Madrid et Singapour, écrit la Cour des Comptes. Paris, classée en dernière position, est la seule ville où aucune donnée en temps réel n'a pu être collectée".
Réponse de Valls : "Le cadre législatif qui régit l'ouverture des données est en pleine évolution depuis la remise du rapport dit « Jutand » en mars 2015 et des recommandations du Comité du débat sur l'ouverture des données de transport. Il précise aussi que le ministère de l'Ecologie "a engagé des travaux pour la mise en place d'un observatoire de l'ouverture des données de l'offre de transport".
3-Favoriser le développement des véhicules autonomes pour améliorer le quotidien des Français
La Cour écrit que "la France accuse ainsi un certain retard sur les démonstrations et tests à grande échelle qui sont effectués dans le monde depuis plusieurs années". Elle évoque des expérimentations "balbutiantes, que ce soit pour les véhicules individuels ou collectifs. Ainsi, il est fait mention du projet SCOOP@F qui, "malgré son envergure", "ne porte que sur la connexion des véhicules (entre véhicules et avec l'infrastructure) et ignore la question de leur autonomie".
Le Premier Ministre rappelle que "depuis le printemps 2015, des autorisations à grande échelle, d'une durée d' un an et visant les réseaux extensifs, sont délivrées aux constructeurs automobiles, au titre des immatriculations de type « W garage », régime dérogatoire prévu par le code de la route". Ce régime sera compété par une ordonnance qui sera prise d'ici le mois d'août. Manuel Valls souligne que la France est représentée dans les instances qui préparent l'évolution de la réglementation et qu'elle attache une importance à "la sécurité" et à "l'acceptation sociale".
4-Intégrer le fret dans les réflexions sur le véhicule autonome
Selon la Cour, les véhicules autonomes peuvent avoir des retombées très prometteuses pour le fret, par exemple en logistique où le dernier kilomètre représente le tiers du coût total d'un transporteur.
Réponse de Valls : "le Gouvernement prend note des recommandations de la Cour", tout en rappelant que le véhicule industriel est une composante du volet « véhicule autonome » de la solution de la Nouvelle France Industrielle « Mobilité écologique ».
Je vous garde le meilleur pour la fin. Quand la Cour des Comptes dénonce le manque de coordination, au niveau des technologies de l'information et de la communication, elle écrit que "les services de la sécurité routière au ministère de l'intérieur se montrent, pour leur part, réservés vis-à-vis de ces développements, redoutant que les innovations technologiques n'accroissent le risque de distraction pour les conducteurs". Tout est dit. Pourquoi favoriser le progrès alors qu'on paye des fonctionnaires pour proposer des mesures qui ne servent à rien...
*J'y étais. J'assurais l'animation de la conférence.