vendredi 29 avril 2016

Les étranges pratiques de Google dans l'automobile

A l'occasion de la conférence GENIVI, qui se tenait mercredi à Paris, j'en ai appris de belles sur les manoeuvres entreprises par Google pour entrer véritablement sous le capot des véhicules. Une grande partie de la presse, et en particulier les geeks, est persuadée que le géant de l'Internet contrôle déjà le marché de la voiture connectée. Il y a aussi ceux qui pensent que Google est évidemment la référence dans le véhicule autonome et que ces gros nazes de constructeurs automobiles feraient mieux de mettre la clé sous la porte. Il est entendu que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), et éventuellement Tesla, vont prendre le pouvoir.



La réalité est légèrement plus subtile. D'abord, Google n'a qu'un accès très limité (comme Apple d'ailleurs) au tableau de bord, et uniquement pour répliquer l'affichage des smartphones. Et malgré sa taille de mastodonte, il essuie parfois des refus. Porsche l'a envoyé balader, car il réclamait un peu trop d'accès à ses capteurs. D'autres marques (Audi, Mercedes) ont également émis en public des réserves. Il faut toutefois préciser que Google Maps, Google Earth et Google Street View sont utilisés par quelques constructeurs.


En ce qui concerne le véhicule autonome, la firme de Mountain View n'en est qu'au stade de l'expérimentation. Il est utile de préciser que Google fait partie d'une coalition (Self-Driving Coalition for Safer Street) qui milite pour l'automatisation de la conduite, aux côtés d'Uber, Lyft, Ford et Volvo.

Evidemment, Google voudrait aller plus loin. Mais pour l'instant, les constructeurs ne veulent pas. Et voici pourquoi.
Le géant de l'Internet fait actuellement la danse du ventre auprès des constructeurs, en "one to one", en leur proposant un accès gratuit à ses logiciels. En contrepartie, Google fait signer des NDA (Non Disclosure Agreements*). Autrement dit, des clauses qui interdisent aux constructeurs de rendre publics les termes des contrats. Comme cela, personne ne sait ce que le soft est autorisé à faire ou pas, et dans quelle mesure il remonte des données qui seront ensuite exploitées pour faire du business.

Et ce que j'ai appris aussi, c'est que Google impose par ailleurs des mises à jour que les industriels de l'automobile devront s'engager à proposer pendant toute la durée de vie du véhicule. Actuellement, les constructeurs se regardent en chiens de faïence, m'a-t-on dit (qui a signé, qui ne l'a pas fait ?). Cet interlocuteur bien informé redoute par ailleurs des bombes à retardement quand il faudra mettre à jour ou remplacer des composants logiciels devenus obsolètes.


Lors de la conférence GENIVI, Alexandre Corjon, Vice-Président pour l'ingénierie au sein de l'Alliance Renault-Nissan, a fait référence à Google qui propose son software gratuit. "Ils viennent nous voir en disant qu'ils s'occupent de tout", a-t-il dit à la tribune. "Je ne suis pas un fan de Google", a-t-il également lancé. Etant le modérateur, je lui ai demandé plus tard si cela voulait dire que Renault refusait l'accès à Android Auto. Il m'a alors répondu qu'il regardait aussi le marché et qu'il ne pouvait pas faire l'impasse sur ce standard.


En revanche, la marque au losange a préféré miser sur Linux pour la  troisième génération de son système R-Link. Avec une franchise qui l'honore, Alexandre Corjon a reconnu que les précédentes versions développées sous Android avaient généré des problèmes. C'est donc dans un environnement sous Open Source (et avec la technologie du consortium GENIVI) que Renault et Nissan vont baser leurs futurs terminaux connectés.


En vérité, et alors que les geeks résument la voiture connectée à une lutte d'influence entre Apple et Google (mais c'est écarter et à tort d'autres prétendants comme Baidu, Huawei et Samsung), la vraie bataille se joue dans les couches intermédiaires de logiciels pour le multimédia. Les trois options sont en fait Android, Linux et QNX (la filiale de Blackberry).


En ce qui concerne les logiciels qui pilotent les fonctions d'aide à la conduite et les fonctions vitales, la forteresse est bien entourée. Le soft est élaboré en commun pour les couches basses dans le cadre du standard AUTOSAR. Et ce que nous a appris la conférence GENIVI, c'est que le monde de l'auto est capable aussi d'apporter des réponses de protection contre les risques de piratage. C'est ainsi que l'équipementier Harman a racheté en début d'année Towersec, une société d'origine israélienne et dont les produits (ECUshield et TCUshield) peuvent prémunir les véhicules contre des attaques.

Google n'est donc pas en position si favorable, malgré les raccourcis hasardeux qu'on peut lire dans la presse.

*Imposés aussi aux journalistes américains quand ils rencontrent des dirigeants de Google, d'après ce qu'on peut lire sur Internet.